Marguerite Marie James

Biographie

Née à Geraardsbergen en Belgique le 23 décembre 1956 et n’ayant pu suivre les cours de dessin auxquels elle aspirait, Marguerite Marie James s’est mise à écrire dès l’âge de 9 ou 10 ans et n’a plus jamais arrêté.

Membre du Grenier Jane Tony, de l’AEB (association royale des écrivains belges), de l’AREAW (association royale des écrivains wallons), elle a publié de nombreux textes notamment dans « Les Élytres du Hanneton » (revue du Grenier Jane Tony).

Un recueil de poèmes « Le Ruisseau du Ciel » (ed. Memor), un roman « La crucifixion de Pierre » ( Novelas asbl).

Elle a participé aux recueils collectifs « Poèmes pour nos lendemains » (ed. Novelas, « La saveur des Belges » (ed. Novelas), au N°9 de la revue « Entre deux Rives : La Belgique, une fois » (Passerelles extra-Muros) et « Le dernier esclave belge » (concours Bonnes Nouvelles 2016) ed.Soir Mag & Weyrich.

Elle est membre d’un club d’astronomes amateurs « Astrovega », d’une chorale anglophone et de LPC (Libre Pensée Chrétienne).

Elle coordonne depuis 2001 le Marché de Noël artisanal de Wezembeek-Oppem.

Elle a travaillé bénévolement pendant 12 ans dans une asbl qui accueillait des jeunes atteints par l’infirmité motrice cérébrale.

Poésies

« Il y avait dans la poésie une chose infiniment plus
       précieuse que la mort,
Une chose merveilleusement moins sûre, moins dure,
       moins inexorable,
Une fleur à peine éclose, une abeille de vermeil, un rêve,
       un nuage, une étoile filante.
Et ce que je faisais, pendant la longue nuit des choses,
Ce que je faisais …
C’était la vie amoureuse des vivants, l’incertitude du
       devenir, le risque du néant – mais la vie !
La vie. La poésie. Le risque de l’erreur.
Pas la mort.
La grande faucheuse ne se perd jamais.
Mais tout ce qui est vivant est ébauche, essai, recherche.
Mon Dieu ! Que je ne sois jamais sûre de rien,

de tout ce qui se vit,
de tout ce qui se croit,
de tout ce qui s’aime.

La mort est si près de la certitude que la certitude
       ressemble à la mort.
Je ne veux pas être une femme certaine.
Je veux être une femme qui ne sait rien.
Eve ignorante, Eve adorable,
L’idéale!
Créature ignorante de la certitude.
Oiseau des îles ! Perce-neige ! Cosmos évanescent ! »

12 août 1990.

J’ai envie d’écrire quelques mots pour toi ,
Quelques lignes pour la lumière de ta présence,
Une trace fugitive de la force douce et tranquille
Dont tu me nourris le cœur et l’âme à jamais.
Puisqu’il ne reste de toi qu’une lueur,
Laisse-moi la fixer jusqu’à m’en éblouir,
Jusqu’à ne plus rien voir sinon cet éclair,
Et penser que je pourrais en porter le nom.
Porter le nom d’un orage, d’une tempête,
Porter le nom du vent qui ravage le monde,
C’est afficher aux yeux de la foule
Ce qui reste de moi après ton passage,
C’est rassembler les branches cassées par la tornade,
Les amonceler comme un tas de souvenirs inutiles
Y mettre le feu pour voir grandir les flammes desséchantes
Et considérer le cep encore planté dans l’argile,
Ce tronc qui suffit à la résurrection de la plante,
Tout ce qui demeure après le cataclysme,
La partie solide qui vaut la peine de porter le seul nom
qui résiste à toutes les destructions, le seul nom qui survit à
toutes les apocalypses,
La partie solide qui mérite de porter le nom de l’amour.

Extraits de : « Le Ruisseau du Ciel », Memor, 2003

Une petite maison blanche avec des volets bleus,
C’est là que tu as vécu, longtemps, longtemps… 
C’est là que je ne suis jamais entrée,
que je ne me suis jamais assise près de toi.
C’est là que tu ne m’as jamais montré les vieilles photos ,
que tu ne m’as pas emmenée au grenier
pour voir de vieux costumes,
écouter de vieilles chansons
Parce que tu n’as pas osé me lancer : viens !
Parce que je n’ai pas osé franchir le seuil.
C’est là que ta vie a passé.
C’est là que tu pensais à moi- je le sais bien.
Et que le sourire s’est effacé lentement de ton beau visage.
Parce que tu savais que je t’attendais 
Et que nous n’osions pas.
A cause des autres.
A cause des murs.
A cause des règles.
Oui, je t’attendais.
J’attendais ce jour où le téléphone sonnerait,
où j’entendrais ta voix,
ce jour où tu descendrais du train, petite et fraîche, sur le quai gris.
Je t’attendais pour chaque fête, chaque nouvelle année.
Je t’attendais. Juste pour que tu sois là. 
Et maintenant, je le sais, plus que jamais,
Là où tu es
Tu m’attends.
Rassure-toi, un jour, c’est sûr, j’oserai cette fois, voler vers toi.

Marguerite Marie James.

Depuis toujours, tu traverses tant de rêves
Tant d’images glanées aux champs des poètes,
Bans de brouillard serpentant aux détours de ma vie
Vers qui titillent les élans de mon cœur.
Le pélican martyr d’un Musset déprimé…
Le héros souriant suivi d’un seul hussard qu’il aimait entre tous
Ou le laboureur du fabuliste inspiré
Tu es celui que je cherche sur les photos que je vole
Aux paysages où tu serais dissimulé
Telle la panthère des neiges derrière son rocher.
Tu surgirais sur cette route, en chantant.
Tu sillonnerais le ciel, comète énigmatique,
Funambule en équilibre sur le fil invisible
Des années emportées par le vent
Et puis, tu prononcerais des mots poignants,
Ceux des poètes à jamais disparus
Mais sais-tu au moins que j’existe ?
Et, si tu le sais, me vois-tu dans tes songes ?
Me vois-tu sur une scène de théâtre ? dans un hôpital ?
Rêves-tu pour moi de paillettes ou de simplicité ?
Que m’as-tu laissé en filigrane ?
Ces cheveux noirs ou ces mains de bucheron ?
Ces détails déterminants qui nous rapprocheraient
Ces marques indélébiles qui me feraient avouer :
Oui, c’est toi, mon père.

Marguerite Marie James.

Une page blanche
Ça n’a l’air de rien
Une page blanche
Mais on commence par y dessiner
Une fleur bleue un mouton noir ou un chat gris
Puis des châteaux en Espagne
Et des moulins à vent
Des séquoias géants des termitières
Peu importe
On les effacera d’un coup de gomme
Alors on la plie en forme de bateau
Et on s’en va très loin
Avec sa page blanche
Jusqu’à Tananarive ou même la Terre de Feu
On peut encore traverser la Voie Lactée
Et visiter l’Univers
Il suffit de transformer le bateau
En fusée interstellaire
Enfin on peut déplier la page blanche
Et y écrire des mots
Des mots bizarres
Des anagrammes
Des onomatopées
Puis se dire que c ‘est trop compliqué
Et revenir au croquis
Pour tracer d’une main ferme et assurée
Un cœur bien rouge et souriant

Marguerite Marie James.

Je ne le ferai plus,
Disait l’enfant à son père.
Sauter à pieds joints dans les flaques.
Tirer la queue du chien ou du chat
Je serai sage comme une image
Et tout le monde sera content.
 
Moi non plus, je ne le ferai plus.
Traverser à pied les grèves du Mont-Saint-Michel ;
Grimper quatre à quatre les marches de la butte de Waterloo.
Faucher les orties de l’aube au crépuscule
Ou bêcher sans repos toute une aire de plantation.
 
Par-dessus tout, je sais ce que je ne ferai jamais.
Aller voir nager les loutres géantes du Pantanal
            Et le merveilleux jaguar bondir sur un capybara
Je n’escaladerai jamais le Mont Rushmore défiguré,
Même pas ce rocher maudit de Marche –les-Dames
Je ne galoperai jamais avec les gardians de la Camargue.
 
Le temps pétrifie les rêves dans les seracs recouverts des neiges éternelles de l’oubli.
 
Marguerite Marie James
Été 2020

Je te quitte, Bruxelles.
J’ai besoin de l’océan et du large,
Des cormorans, des mouettes et des embruns,
Des phares de Port-Navalo et du Créac’h.
 
Passe la gare, ses quais gris et ses caténaires entrelacés,
Passe le marché du Midi livré aux pickpockets,
Personne ne les surveille depuis la tour éponyme,
Sinistre beffroi de bureaux vides et poussiéreux.
 
Au loin, le piétonnier est assailli de trottinettes et de vélos,
D’enfants larmoyant près d’une mère plongée dans son smartphone,
De retardataires pianotant des excuses par des texto,
De touristes avides de gaufres, de frites et de bière.
 
Je devine des silhouettes en pantalons, tuniques informes-
L’élégance au placard !
Des enseignes en fer forgé ont plus d’allure que les passants.
Dans les parcs, les arbres s’ennuient et les colverts ont la démarche des retraités- ou l’inverse.
 
Je te quitte, Bruxelles.
J’ai besoin du vent qui souffle sur Concarneau ou sur la mer d’Iroise, sur Brocéliande où les pierres se racontent des histoires.

J’ai besoin du vent qui souffle sur la baie des Trépassés où chantent les âmes des marins morts.
J’ai besoin de la fin des terres….

Marguerite Marie James
Été 2020

Aujourd’hui comme hier,
Le vent chante dans les peupliers.
Chante ? Mais non, le vent ne chante pas.
Le vent crie, le vent hurle,
Le vent- tu le savais, mon frère indien-
Le vent est le souffle du monde.
Et le monde a faim,
Le monde a froid, et peur, et peur !
Comment donc imaginer que le vent chante ?
Il n’y a que l’amour qui chante
Et l’amour est aussi loin de ces troncs gris que du nid
que ma faux a brisé.
L’amour est pour les anges
Et j’imagine parfois que les anges chantent,
Parce que tout ce qui est beau et bon
Fleurit en milliers de chansons ;
Et j’imagine parfois que les anges vivent
Dans les branches immobiles dont les feuilles ;
bruissent comme des ailes ;
Et que tout s’évapore en délicatesses,
Tout ce que nous aurions pu aimer,
La vie, la joie…
Tout ce que nous aurions pu aimer
Et que nous avons déjà oublié.
 
Marguerite Marie James
« Le ruisseau du ciel » (ed. Memor).

Ils courent dans la rue comme des crabes sur le sable,
Ils piaillent comme des goélands,
Bandes d’hominidés incohérents !
Facies dissemblables ! Regards de forbans !
Ils prennent leur gratte-ciel pour des falaises
Et s’y croient à l’abri de la mer et du vent.
J’avance en âge et je les vois de plus en plus loin,
Ces bipèdes qui sont , malgré moi, des frangins.
Je les vois, oui, comme du haut d’un vieux gréement
qui s’éloigne vers le large, inconnu des vivants.
En attendant, je les suis sur le boulevard,
Ces flâneurs hétéroclites, cigarettes au bec, mal roulées,
Le sac en bandoulière , la valise à roulettes sur les talons.
Le regard est vide, les oreillettes enfoncées jusqu’aux tympans.
Ils ne se voient pas.
Ils ne me voient pas.
Ils ne nous voient pas .
Foule non sentimentale.
Parfois ils échangent des mots à usage interne.
Il faut être des leurs pour les comprendre.
Et je n’en suis pas .
Et tu n’en es pas.
Le chien dort à côté du maître éméché
Et passe et repasse cette petite vieille pliée en deux
qui a perdu le ciel gris pour les pavés disjoints.
Similitude de couleur…
Il n’y a plus ni bleu ni rouge ni vert pour elle : tout est gris à jamais.
Un film du temps jadis.
Une vie rétrécie.

Une existence parmi d’autres.

Petite Laly encore si fragile
Fleur de printemps qu’un rien ne blesse
Vivrais-je assez longtemps près de toi
Pour t’accompagner dans des milliers de rêves
Car je voudrais te raconter des épopées
Où les grands chevaux galoperont comme des zèbres
Dans les tourbières des Fagnes étendues jusqu’au Togo
Où les trains ne fileront pas plus vite que des guépards
Pour aboutir au port d’Ostende où la mouette rieuse
Au-dessus de l’estacade et des cornets de frites
Se prendra pour un vautour sur une carcasse de gnou
Nous nous abriterons derrière un brise-lame
Pour éviter le norois prêt à chasser le sirocco
Puis, de retour à l’intérieur des terres
Assises sous le sorbier des oiseleurs rebaptisé baobab ou karité
Nous écouterons le pic marteler les troncs au rythme du djembé
Le gracieux héron de la fable devenu bec en sabots
Confondra crapauds et tilapias
Sans plus savoir sur quelle patte se percher
Affolées par le renard pris pour un lycaon
Les poules abandonneront leurs nids aux amortisseurs
De Bruxelles, de Quimper ou de Ouagadougou
Casimir et Tigrou atteints par la folie des grandeurs
Attaqueront des impalas
Pendant que danseront les souriceaux
Les belles dames de Pont-Aven nourries au far
Troqueront leurs coiffes de dentelles pour des boubous
Et tremperont leurs doigts délicats dans l’akoumé
Nous, nous mangerons des glaces stracciatella
Sur les pentes du mont Agou
Car toi petite Laly tu connaîtras bien mieux que moi
L’Escaut, l’Odet ou le Niger
Et quand tu grimperas les marches de la tour
De Lisseweghe, du Kreisker ou du Lion de Waterloo
Tu me regarderas de là-haut,
Tu m’appelleras Mamik
Et nous nous ferons de grands signes
Qui brilleront comme des soleils.

Ma douce, ma tendre, ma belle solitude,
Toi qui ne m’as jamais quittée,
Toi qui étais accrochée à mes pas
Comme le rayon à l’astre qui le produit,
Ma grande, ma suave solitude,
Tu m’as accompagnée le long des chemins creux où la neige protégeait le silence.
Tu m’as ensorcelée au milieu de la foule où je cherchais un regard.
Tu m’as réconfortée dans l’abîme insolent où le froid me glaçait.
Tu as fini par me détruire dans le torrent où les larmes se mêlaient à la bière
À moins que ce ne fussent les pleurs qui avaient la saveur de l’alcool.
C’est là, vois-tu, que nous avons cessé de nous aimer,
Là que j’ai perçu, dans l’ombre, l’inanité de poursuivre la passion.
Je n’ai pas choisi- pardon, comment te dire ?
Je n’ai pas choisi entre le monde et toi.
J’ai choisi, sur le chemin de la mort, de ne pas prendre le raccourci où tu me tirais-
toi, ma belle, ma tendre, ma douce, toi, si attirante !
J’ai choisi- infidèle amante- de vagabonder un peu avant de te rejoindre,
Car tu as le privilège d’être là, devant nous, quand nous allons où nul ne peut nous entendre.
Tu es si présente entre la bière…et la bière.
N’aies pas peur.
Tu me retrouveras.
 
Paru dans « Les Elytres du Hanneton » n°299
Revue du Grenier Jane Tony

J’ai tout vu ! J’ai tout vu !
Du sommet de l’acacia,
J’ai tout vu ! Ah ! Ah ! Ah !
Je vois la langue de la girafe qui écarte les épines pour arracher les feuilles
Et le serin qui tisse son nid,
Mais ces deux-là,
Tout en bas !
Qu’ils sont vils ! Ah ! Ah ! Ah !
Et ils puent ! Ils empestent !
Vous la voyez, là, l’hyène tachetée,
Avec son derrière dans ses chaussettes :
Elle guette les lionnes, les grands fauves,
Les vrais chasseurs.
Une patte de zèbre par ci !
Une oreille de gnou par là !
Et je danse sur ma branche. Ah ! Ah ! Ah !
Et je prends garde aux épines de l’acacia, moi !
Ah ! Ah ! Ah !
Mais je l’ai vue, la gueuze, la poissarde…
Privée de charogne à ronger,
Elle s’est mise en tête de l’attraper,
Lui qui empoisonne l’air de sa boue
Et de sa bouse fétide,
Le macchabée sur quatre pattes,
Le produit d’une truie et d’un martien,
L’explorateur des fosses septiques de la brousse,
Le phacochère !
 
Regardez le courir, les soies éparses sur le dos —-
Crinière carnavalesque.
Roi de la savane en salacités.
Elle a essayé de le prendre à revers
Mais c’est lui qui la poursuit maintenant !
Ah ! Ah ! Ah ! L’hyène chassée par un cochon !
Ce n’est pas un western spaghetti,
C’est un western pour cul-de-basse-fosse !
Qu’ils sont drôles !
Qu’ils sont bêtes !
C’est qu’elle n’abandonne pas la partie, la salope !
Elle veut son lard pour le souper !
Non, mais je rêve, j’hallucine !
Le phacochère !
Il courait si vite en tenant l’hyène à l’œil
Qu’il vient de tomber dans le piège tendu par les lionnes !
Ah ! Ah ! Ah !
Elle en fait une tête, l’hyène tachetée !
Et de glapir et d’aboyer !
C’est que le gueuleton vient de lui passer sous le nez !
Elle est furieuse !
Oh ! la ! la ! Qu’elle est furieuse !
Et elle ne voit pas le lion qui arrive derrière elle !
Et il lui brise les reins, le roi des animaux !
Ah ! Ah ! Ah ! La voilà bien avancée !
Il faut que je descende pour voir cela de plus près.
Ah ! Ah ! Ah ! J’en suis…J’en suis…
 
AU SECOURS !
 
Moralité : Petite guenon moqueuse,
Reste au sommet de l’acacia,
Loin du spectacle qui t’amuse.
La panthère grimpe facilement aux arbres
Pour s’emparer du primate trop curieux…

Vieux peuplier, vieil ami,
Vieux témoin des vieilles histoires
Vieux camarade des travaux et des jours,
Sombre silhouette sur les photos jaunies,
Toi qui faisais la paire avec ton vieux copain le vent
Pour partager quelque secret dont je n’oyais que la chanson,
Une vieille ritournelle évidemment
qui confinait à l’engueulade
quand l’orage surgissait
pour ranimer de vieilles querelles…
Vétéran d’une troupe colossale
qui reliait le ciel à la terre,
Tu as rejoint l’autre jour tes vieux compagnons
Tombés au champ d’honneur des dernières tempêtes
Ou disséqués par ces Don Quichotte à la tronçonneuse
qu’on appelle bûcherons…
Vos couronnes arrachées comme les ailes des moulins
n’accrochent plus les étoiles
Et je ne pourrai désormais qu’imaginer les reflets de vos ramures
Dans le pétillement des premières lueurs du jour.

à Pierre Jakez Hélias

Cheval d’orgueil,
quand le vent de la mer me parle de far et de fées,
d’orages et de légendes – et de labeurs aussi,
je songe à revoir l’Aven et la colline où mes aïeux reposent,
ceux qui mêlaient la prière, le travail et le chant-
sabots rugueux et coiffes de dentelle,
racines dans le sol et branches dans le ciel…

Cheval d’orgueil,
quand je suis assise devant ma page avide
de mots tendres et bouleversés, de locutions secrètes,
j’écoute chanter les gabiers d’artimon et les terre-neuvas
qui passaient sans sourciller des harouelles à la charrue,
des cris de la hune à la Fest-Noz.

Cheval d’orgueil,
quand dresseras-tu les oreilles
pour entendre le désir que j’ai de m’endormir
dans la chaleur de ton éternité ?
Je m’allongerai sur la grève, un soir, peut-être,
parmi les âmes errantes de la baie des Trépassés
et, souriant à la vie, je dirai : « Kenavo ».