Louis Mathoux
Biographie
Né à Nivelles (Belgique) le 16 novembre 1970. Titulaire de 2 masters universitaires : en Histoire (orientation Histoire contemporaine, U.C.L., 1994) et en Journalisme (U.C.L., 1995). Titulaire du Brevet d’aptitude à gérer une bibliothèque publique (Institut J.-P. Lallemand, 1999). Poète, nouvelliste, essayiste et journaliste (hebdomadaires Dimanche et Echo-Magazine (Suisse), quotidiens Vers l’avenir, La Libre Belgique et La Croix (France), périodique en ligne e-Sillages).
Membre de plusieurs associations et cercles littéraires, dont l’Association des Ecrivains Belges (A.E.B.), l’Association Royale des Ecrivains et Artistes Wallons (A.R.E.A.W.), le P.E.N. Club International et le Grenier Jane Tony. Invité de plusieurs congrès internationaux de poésie en France et en Roumanie. Lauréat de 9 prix littéraires (dans le domaine de la nouvelle) entre 1995 et 2011 en Belgique et en France. Sélectionné 2 fois à la résidence d’auteurs du Château du Pont d’Oye (2009 et 2013).
Bibliographie :
– Maelström, Ed. de l’Acanthe, 1998, 48 p.
– La Nuit cannibale, Ed. Clapàs, 2001, 16 p.
– Croire au feu, Ed. L’Arbre à paroles, 2002, 60 p.
– Gisement de cri, Ed. Memor, 2005, 64 p.
– Le Rire des succubes, Ed. L’Arbre à paroles, 2006, 78 p.
– Monseigneur Léonard – Entretiens avec Louis Mathoux, Ed. Mols / Ed. Parole et Silence, 2006, 340 p.
– Les Lettres nues, Ed. Clapàs, 2009, 16 p.
– Le Livre des blasphèmes, Ed. du Somnambule équivoque, 2010, 76 p.
– Justine Henin en 26 lettres, Ed. S comme Sport, 2011, 71 p.
– Apparitions mariales : mythe ou réalité ?, Ed. Mols, 2013, 192 p.
+ nombreux textes littéraires publiés en revues, recueils collectifs et anthologies. (Belgique, France, Suisse).
A reçu 3 subventions d’aide à l’édition du Fonds national de la Littérature pour Croire au Feu, Gisement de cri et Le Livre des blasphèmes.
Poésies
Ce jour-là, la Femme décida de dépouiller le monde de sa substance pour mieux accroître la sienne.
Elle alla d’abord trouver la mer et lui demanda :
— Dis-moi : quel est le nom des pétales que tu fais fleurir sur les littoraux ?
— On les appelle « vagues », répondit la mer.
La Femme cueillit chaque vague, et il n’y eut plus de mer. Mais sa propre étendue s’en trouva démultipliée.
Elle s’approcha ensuite du soleil :
— Comment nomme-t-on ces pétales grâce auxquels tu éclaires toute chose ? s’enquit-elle.
— Ce sont des « rayons », dit le soleil.
Alors la Femme effeuilla ceux-ci un à un, et il n’y eut plus de soleil. Mais sa lumière à elle s’en trouva accrue en proportion inverse.
Puis elle alla trouver le Verbe :
— Comment se nomment les pétales au moyen desquels tu nous fais communiquer ?
— On les appelle « mots », fit le Verbe.
Et la Femme cueillit les mots, de sorte qu’il n’y eut plus de Verbe. Mais la signification de sa féminité s’étendit désormais aux limites du dicible.
Enfin elle se dirigea vers l’homme.
— Quel est le nom de tes pétales à toi, par lesquels tu me désires ? demanda-t-elle.
— Ce sont des « regards », répondit l’homme.
La Femme se saisit de l’homme, et lui arracha un à un ses regards. Mais quand l’homme n’eut plus un seul regard au fond de ses yeux, c’est elle qui avait cessé d’exister.
Je bois à pleines plaies
l’eau glacée de mon sang
et des cadavres de gestes
jonchent mon alentour
Tout été m’a été confisqué
tout Sud toute luxuriance
Qui repeuplera mes regards
à présent que tu t’es vendue
au crucifiant Ailleurs ?
De quoi s’abreuvera ma bouche
désormais veuve de tes salives ?
Quelle chair nouvelle se fera-t-elle
le palais de mon sperme ?
Les chemins se rient de mes pas
et nul ici ne m’est plus donné
Où aller ? Qu’habiter ?
A quel présent abonner mes heures ?
Je suis à bout de néants…
Dieu distillait la soif de l’homme pour en faire des alcools étranges et compliqués.
Le premier qu’il obtint enivrait la chair. Dieu le nomma « vin ».
Le deuxième grisait l’âme et les rêves. Dieu l’appela « musique ».
Quant au troisième, il peuplait de saouleries l’univers entier. Après quelques hésitations, Dieu donna à celui-ci le nom de « feu ».
Mais le Créateur n’était pas encore satisfait. De ses cornues jaillit enfin un alcool de l’essence la plus précieuse qui soit. Il l’essaya sur lui-même, et s’aperçut avec stupeur que ce breuvage faisait danser jusqu’à l’extase sa propre éternité.
Alors il l’appela « Femme ».
Un jour, l’alcool frappa à la porte de mon ventre :
— Ouvre-moi, dit-il, car aujourd’hui je dois te repaître d’absolu. J’incendierai tes pires océans et grefferai l’éternité sur chacune de tes secondes !
Je refusai. Mais il insista :
— Laisse-moi entrer dans ta chair, car il me faut l’ensemencer de lumière et mettre le feu à ton feu ! La mort s’échappera par chaque pore de ta peau, et tous les rires du monde se disputeront tes dents !
Je repoussai à nouveau sa demande. Alors il me déclara :
— Donne-moi accès à ton entraille. Tu boiras le jus de Dieu, et je tatouerai des prénoms de femmes sur tes cris ! Je rebaptiserai tes glandes Irlande et Italie pour qu’en sortent des voyages fous ! Tu connaîtras l’ivresse qui culmine au-delà de l’ivresse !
A ces mots, je décidai de le laisser entrer.
Quelques minutes plus tard, il ressortit de moi en titubant. C’est lui que ma chair avait enivré.
Au commencement, l’homme – qui n’était pas encore homme – s’approcha de la Femme, et lui dit :
— Femme, me voici. Si tu as soif, je serai l’eau qui te désaltère. Si tu as faim, je serai le pain qui te nourrit. Et si tu as froid, je serai le feu qui te réchauffe. Dis-moi : que veux-tu que je sois ?
Mais la Femme regarda l’homme droit dans les yeux :
— Je n’ai besoin de rien, sinon que tu t’éloignes de moi.
Alors seulement l’homme devint pleinement homme, et le néant s’empara de ses moelles.
Un jour, je rencontrai L’Autre.
– Que faire pour parvenir à l’Etre ? lui demandai-je sans préambule.
– Pour cela, répondit L’Autre, tu dois te confronter au Non-être, ou si tu préfères, à Celui-qui-n’est-pas.
– Mais où donc le trouverai-je ? l’interrogeai-je.
L’Autre plissa les cimes de son regard.
– Cherche dans la vacance des âmes, l’infécondité du siècle et le mutisme des stupeurs, dit-il. Quand, de ta peau, ne jaillira plus qu’un cadavre de sueur et que l’urine du silence inondera ton ouïe, tu sauras que Celui-qui-n’est-pas se trouve devant toi, à portée d’épouvante.
Je me mis donc en quête de ce dernier. Je sondai les nécropoles, les déserts, les hivers, les solitudes et les disettes, mais ne le trouvai pas. Je n’errais bientôt plus qu’au mitan de toute désespérance lorsque revint soudain à ma conscience le souvenir que moi-même je n’étais pas. Le Non-moi squattait la longitude de mes pas, les atomes secrets de mes gestes, et jusqu’aux moindres éternités de mes instants. Alors j’interrogeai ma propre vacuité par chaque sang de ma voix :
– Que dois-je faire pour accéder à l’Etre ?
Mais je m’entendis répondre avec douleur :
– L’Etre se trouvait depuis toujours au revers de cette question sacrée. A présent que tu as exposé celle-ci aux vents profanes de tes lèvres, il s’en est envolé sans recours. Sache dès lors que tu ne Seras point, ni maintenant ni jamais !
Un téléphone perdait continuellement des décibels. On avait tenté non sans maladresse de colmater la fuite avec du frigo, du four à micro-ondes et du magnétoscope, mais en vain. Arrivé sur les lieux, j’examinai le patient et déclarai :
– Il faut procéder à des radiographies pour voir ce dont souffre cet appareil !
Ainsi fut fait. Les clichés révélèrent trois phrases à l’intérieur du téléphone :
« Le concierge demande où sont les clés de la cave. »
« Je passerai prendre les enfants un peu plus tard aujourd’hui. »
« Henri m’a dit qu’il avait beaucoup de travail au bureau ces temps-ci. »
– C’est étrange ! murmurai-je avec étonnement. Aucune de ces phrases ne semble cassée !
Mais tout à coup mon attention fut attirée par une petite sentence lapidaire de sexe féminin : « Louis, ne comprends-tu donc pas que je ne t’aime plus ? » Une terrible fracture en avait résulté pour l’ensemble du téléphone, et par ladite blessure s’échappaient les décibels malades. Quand je vis cela, je lançai d’un air sombre à mes assistants :
– Achevez ce malheureux appareil ! Nous ne pouvons plus rien pour lui !
Un jour, un homme au moral visiblement très bas vint consulter son médecin.
– Docteur, lui dit-il, je suis désespéré…
– Que se passe-t-il ? s’enquit le thérapeute.
– Voilà : je suis un célibataire en phase terminale.
En entendant cela, le médecin se gratta la tête :
– Dans ce cas, je ne vois plus qu’une seule chose à faire : vous prescrire des soins palliatifs.
– Des soins palliatifs ? Quel genre de soins palliatifs ?
Et le praticien, avec un sourire satanique :
– UNE BONNE DOSE DE MARIAGE !
Dieu entra un jour dans ma boutique.
— Donne-moi sept litres de jus de couteau, commanda-t-il.
J’en demeurai abasourdi :
— Sept litres ? Mais c’est impossible ! C’est beaucoup trop ! Je n’y survivrai pas !
— Le client est roi ! rétorqua mon divin interlocuteur. Je veux sept litres et rien de moins !
Je tentai de négocier :
— D’habitude, je n’en vends que cent ou deux cent millilitres à la fois. Pour toi, je veux bien monter jusqu’à un litre. Mais si je te donne plus que cela, je périrai !
Cependant le Très-Haut resta inflexible :
— J’ai dit sept litres ! Oserais-tu refuser quelque chose à ton Dieu ?
— Ce sera ma mort ! pleurai-je. Je vais me dessécher complètement en quelques minutes !
— Sept litres, et tout de suite ! maintint Dieu.
Je n’avais pas le choix. Accablé, je saisis un couteau, me tailladai les veines, et recueillis l’entièreté de mon sang dans une bassine. Agonisant, je rassemblai mes dernières forces pour la donner au Créateur.
Alors celui-ci eut un sourire mi-féroce mi-ironique, et me déclara :
— Tout compte fait, je prendrai plutôt un thé à la menthe !