Philippe Leuckx

Biographie

Poésies

Tout jardin a la profondeur de l’ombre.
Le mur la protège des atteintes du monde.
Le coeur s’y recueille. L’esprit veille.
Parfois, un souvenir passe comme un visage.
C’est un enfant de jadis que la photo ne montre pas bien;
Le temps a coulé sur l’herbe et les traces sont sèches.
Ma vie est ainsi faite : solitude et oubli.
 
Quand la tristesse suinte au bout des doigts
mets-la en vers
tresse pour ce peu une phrase
qui puisse étourdir ton chagrin
 
On laisse venir cette pauvre
lumière
cueillie entre les murs
un jour de canicule
l’ombre chaude d’un enfant
oublié
on semble frôler la perte
ou la déconvenue
quelque chose a failli
se produire mais où
parfois on ne sait rien d’autre
que l’effroi le doute
même si le coeur s’affaire
 
Je lis le monde dans ces regards
à la trame des murs
dans le lieu clos des chambres
je ne sais rien d’autre
que le souffle retenu
la voix brisée sur l’attente
parfois le silence s’invite
au dos de ma patience
la beauté se cueille là
entre lumière et ombre
dans les reliefs du jour
 
L’errance cette école de patience
On a souvent puisé l’eau des sentes
Et mesuré à petits pas la beauté
des mondes
Un jour le pied se fait plus ferme
Et la lenteur a raison de nous
On a trouvé en chemin
Des raisons d’espérer de douter
D’éclairer les petites pierres
D’écrire sur elles d’autres petits mots
 
Parfois l’enfant réussit à retrouver
ses rêves et leur logis intime
il creuse en lui les contours
d’un paysage et attend
il ne sait rien encore
de ce qu’il trouvera
en chemin
lorsque le temps venu
de se remémorer
aura pointé à la fenêtre
 
Où va le traqueur d’ombre
au fil des ruelles
se sachant traqué
le long des murs
où il peine?
 
Parfois la lumière nous manque
comme un baiser
elle s’éprouve dans la solitude
elle vainc toutes nos pauvres
ombres
 
Tu te déprends de la solitude
dans l’aire de l’été
si tu convoques les îles
c’est la foule qui te surprend
assoiffé chancelant
au coeur les mots
qui délivrent

(Neuf fragments d’un recueil inédit : Matière des soirs, 2022)

On va vers le soir moins léger
à force
le cœur a de ces fatigues
lentes
les paroles débordent
d’une rue sans longe
quelque chien égaré
traîne sa doléance
on va par des chemins
herbeux de doutes
et de gravats
on est si peu à soi
que l’on s’oublie parfois
au bord d’un terrain
aussi vague que l’endroit
———————————–
De loin en loin
des missives des notes
de petits mots
ces rubans d’amitié
que les gens se lancent
pour tenir debout
quand l’heure pesante
obscurcit la voix
ces petits riens
qui délogent le cœur
de sa gangue
————————————
Le soir surtout quand la ville
repue respire à grand bruit
de trams et de passages
quoique le ciel n’y prenne
aucune part
ni que le promeneur égaré
à peine effaré y soit aussi
pour grand chose
la peine recouvre des murs
entiers
les affiches ont fané
et la nuit embue quelque
espoir
je ne sais qui vient
ombre sombre parmi les êtres
je ne sais où aller
ou si peu
dans les peurs ambiantes
————————————–
Matière que le soir
avec ses recoins
de tristesse
ses appentis d’amours
mortes
sa solitude aux murs
mes lents chemins
désarmés

Plus loin la mer
presque sans assise
le cœur accroche
au ciel le blanc des dalles
tu marches sans recours
avec le mal la détresse
tout près les couples
la noce et cet été trop bleu
—————————————–
On va les bras devant
pour un brin de secours
à projeter
on se sait maladroit
et si peu inventif
dans l’ordre du possible
on croise parfois
celui qu’on aurait pu être
sans se retourner

Tard, il se fait tard, et la solitude est à nos portes, comme la guerre.
Parfois, le temps de regarder au dehors, et les vitres brisées ne reflètent plus rien, qu’une sombre désolation.
Le ciel toujours de traîne, d’un hiver violent sans ébauche de printemps.
A Lviv, à Kiev, ailleurs, on s’assure que l’enfant sera protégé des balles, des obus, des bombes.
L’espérance ce baume des innocents.
*
Tard, il se fait tard, dans l’Europe qui était près de sombrer, mais qu’avive aujourd’hui ce ressaut de la résistance, peut-être que tout n’est pas perdu.
Dans toutes les rues Zelensky du monde, des voix osent, se remparent, quelqu’un bronche qui jusque-là se terrait, se taisait. Une journaliste russe hisse la vérité sur un panneau cruel qui va décider de son sort.
Parfois l’espoir remue comme un chiot fragile.
Parfois, dans l’ombre qui tombe, juste un éclat procède de la bonté.
*
Tard, il se fait tard , mais un bretteur de scène, qui faisait rire, est devenu un homme avec son poids de courage, de force et de conviction. Un petit être devenu un géant pour son peuple, le poussant au meilleur, au plus dur de sa condition.
Parfois, le cœur des hommes délivre des perles. A Kiev. Ailleurs.
*
peut-être que les mères refuseront
de voir leur enfant mort sous la bombe
voudront conserver la belle image vivante
au beau temps de la paix splendide
quand tout était debout dans l’ordre
de la beauté sans murs brisés sans corps
disloqués au coeur des foyers
parfois le ciel est triste d’accumuler
les visages sans vie sages dans leur linceul
on entend quelque part une chansonnette
que de jeunes enfants répètent à l’envi
pour un air de fête

(Fragments inédits de « Une rampe de lumière »)

On cherche un peu de lumière
dans les travées
au vitrail de la vie
on travaille à mieux se voir
on suit des murs des puits
on grimpe des chagrins des cols
on s’embarrasse d’un rien de fatigue
 
Dans le soir qui vient couvrir
les murs d’une lumière de taupe
l’air s’écroule et les mots
n’ont presque plus de poids
contre la fenêtre
la patience contrevient
la solitude s’ancre au ciel sombre
 
Parfois on tend le visage
à qui peut comprendre
ce peu à saisir
ce fragile chemin des choses
imparfaites
que la main caresse
distraitement
parfois le visage se retire
de lui-même sans port
où s’attacher
 
On s’est trompé de rue de ville de vie
On a couru tant de visages
et gardé si peu au fond
Parfois la tristesse n’est qu’une bonde
On entrevoit les précipices les délices
On s’égare sans fard
On en revient
comme à la vitre épuisée tarie
 
Samedi ordinaire
Un chien jappe sa détresse
dans la rue qu’émiette son cri
Nous sommes souvent ce chien
laissé à sa simple solitude
dans le grisé des jours
 
On ne sait jamais ce que l’attente
nous réserve
Le jour tisse quelques frontières
de murs et de lumières
On reste là béant et nu
Parfois le poème taille
dans le vif
Parfois la peau cède
Pourtant le chemin mène.

Philippe Leuckx