Transfrontalier
La nuit du changement d’heure entre hiver et été
D’une mère couleurs et parfums métissés
Et d’un père un peu sec, un peu blanc, un peu froid
Je suis né à Bruxelles, capitale tout sauf moi
Belge, flamand, berbère, rien ou un peu tout ça
Zinneke tu connais ? Le bâtard bruxellois
Et bilingue, et trilingue, sans compter le verlan
Tous ces langages sont miens, aucun ne l’est vraiment
Prix du plus beau bébé, trophée sport à l’école
Exotisme assuré, c’est à lui qu’on se colle
Avec des yeux pareils, il fera des ravages
Question ravages, ça va, j’ai pas mal assuré
Et j’ai pris tout en vrac, la peur, la haine, la rage
Mais tu le sais, toi, non, un jour il faut payer
Je peux même pas m’ vanter d’avoir connu le ghetto
Plutôt banal comme mec, des épines sous la peau
P’tit garçon, p’tite maison, petit quartier, eh ouais
L’idéal des familles qu’est-ce que je te disais
Avec boucherie halal et épicerie kasher
Ici tu vas trouver de tout et pas trop cher
Même les grammes y sont généreusement pesés
Si tu regardes pas trop à quoi ils sont coupés
De quoi faire du bébé qui promet, en deux temps
Le merdeux qu’a pas voulu rester dans le rang
Le rang, j’ai craché l’ mot, c’est lui qui m’empoisonne
Mais personne a jamais voulu m’y accepter
Tout au départ déjà, le jeu était truqué
Tu rêves gars ? Tes cartes ! Et vas-y mets ta donne
Méthadone c’est ça, c’est tout c’ que t’as trouvé ?
On me demande Respect à chaque coin de rue
Et le respect pour moi, je me le fous au cul ?
Entre le père et la mère sur la photographie
Bientôt plus que la mère, le grand sec est parti
Il s’est tiré, papa et maintenant je fais quoi
Garde alternée, ils ont tout décidé pour moi
Mais avec ce bouffon qui n’en a rien à foutre
Du gamin d’un soleil qu’il a laissé tomber
Pour un écart, lui qu’avait bien tracé la route
Pour une erreur qu’il a jamais su pardonner
Non t’en fais pas maman, moi je te laisserai pas
Je fais ce que j’ peux ‘man. Entre pétard et métha
Wollah je l’ jure maman, y a une grosse place pour toi
Juste un peu de blé ‘man, allez c’est samedi quoi
Carte de membre, svp, sans quoi on n’entre pas
Ok man, bien compris, j’ vais aller voir ailleurs
Ailleurs c’était pas loin, j’en ai pris pour six mois
Rapport pour bonne conduite, peut-être tu sortiras
Et d’ici là les mecs, j’espère avoir trouvé
L’endroit où je n’ serai plus le transfrontalier.
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Transgares
( Michelle Dantine et Edmond Delvenne )
Bruxelles, gare du Midi, sous mes pas, les dalles de marbre poussent plus vite que les prés et les arbres. Où sont les parfums de mon enfance ? L’odeur du chocolat me manque. Le T.G.V., je m’en balance, car mon compte en banque se calcule en négatif, légère différence avec tes européens navetteurs… On peut être pauvre et malgré tout travailleur. Bruxelles, gare du Midi, où on déroule un tapis, rouge de sang ou de honte, sous les pas des nababs de ce monde, pendant qu’à la gare centrale s’étalent sur le sol, mendiants de toutes sortes autour d’un bol de soupe populaire, ivres de bières ou de misères…
Tu marches dans le couloir de la gare Centrale. Pile au milieu : tu as compté les carreaux. Tu penses que si tu avances bien au centre de l’allée crasseuse, c’est là que l’odeur de pisse sera la moins violente puisque tu circules à l’exacte distance entre les deux murs. A moins que là, au juste milieu entre les parois, l’air que tu déplaces en progressant forme une turbulence et que le choc entre les relents se croisant précisément à équidistance des murs, justement là où tu as décidé de marcher, ce choc n’exalte leur essence et te renvoie exactement à ce que tu voulais éviter. Ainsi, ce que tu fuis avec détermination, ce que tu fuis parce que c’est ta nature profonde, tout ce que tu fuis te pète un jour à la gueule.
Quittez la gare centrale, traversez Bruxelles et découvrirez ces demoiselles dévêtues qui vous attendent au coin de la rue ou le long des avenues. Elles s’exposent dans les vitrines sous des spots mauves qui les illuminent. Elles habitent la gare du Nord, ce sont des princesses d’amour. Elles recouvrent de leurs corps la laideur des faubourgs.
La nuit du changement d’heure entre hiver et été… D’une mère couleurs et parfums métissés et d’un père un peu sec, un peu blanc, un peu froid, je suis né à Bruxelles, capitale tout sauf moi. Belge, flamand, berbère, rien ou un peu tout ça, Zinneke tu connais ? Le bâtard bruxellois ! Et bilingue, et trilingue, sans compter le verlan, tous ces langages sont miens, aucun ne l’est vraiment. Prix du plus beau bébé, trophée sport à l’école, exotisme assuré, c’est à lui qu’on se colle… Avec des yeux pareils il fera des ravages. Question ravages ça va, j’ai pas mal assuré ; et j’ai pris tout en vrac, la peur, la haine, la rage. Mais tu le sais toi non, un jour il faut payer. Je peux même pas me vanter d’avoir connu le ghetto. Plutôt banal comme mec, des épines sous la peau.
Plutôt banale comme dame, celle assise auprès de sa canette. Regarde bien, elle a le vague à l’âme, elle s’appelle Violette. Violette n’a plus de courage pour vivre et elle en a encore moins pour mourir. La vie, les gens, elle s’en fout. D’ailleurs elle se fout de tout… de ce que sera son lendemain, et de ce présent qui n’existe plus ; depuis janvier, son présent, c’est la rue. Violette, dis-moi où se perd ce regard bleu, vide, triste et hagard ? Vers ton amie, sous tes yeux décédée de n’avoir pas vu l’auto qui l’a écrasée ? Vers ces » Bonsoir » restés sans réponse ? Vers ces » Casse toi » qui semoncent ? Brûle le linceul de ton passé. Entre naître et mourir, il y a beaucoup plus qu’une longue absence. Le suicide n’est qu’une mort lente.
Petit garçon, petite maison, petit quartier, eh ouais, l’idéal des familles qu’est-ce que je te disais ? Avec boucherie halal et épicerie kasher, ici tu vas trouver de tout et pas trop cher, même les grammes y sont généreusement pesés, si tu regardes pas trop à quoi ils sont coupés. De quoi faire du bébé qui promet, en deux temps, le merdeux qu’a pas voulu rester dans le rang. Le rang, j’ai craché le mot, c’est lui qui m’empoisonne, mais personne a jamais voulu m’y accepter. Tout au départ déjà, le jeu était truqué. Tu rêves gars ? Tes cartes ! Et vas-y mets ta donne. Méthadone c’est ça, c’est tout ce que t’as trouvé ? On me demande Respect à chaque coin de rue, et le respect pour moi, je me le fous au cul ?
Respecte tes parents ! Respecte tes professeurs ! Respecte le Monsieur ! Respecte ta petite sœur ! Reste dans le rang ! Respecte le Directeur ! Tiens-toi droit ! Respecte l’État ! Respecte les lois !
Crie avec moi… je suis LIBRE !
Entre le père et la mère sur la photographie, bientôt plus que la mère, le grand sec est parti. Il s’est tiré papa et maintenant je fais quoi ? Garde alternée, ils ont tout décidé pour moi. Mais avec ce bouffon qui n’en a rien à foutre du gamin d’un soleil qu’il a laissé tomber, pour un écart, lui qu’avait bien tracé la route, pour une erreur qu’il a jamais su pardonner. Non t’en fais pas maman, moi je te laisserai pas. Je fais ce que je peux ‘man. Entre pétard et métha, wollah je le jure maman, y a une grosse place pour toi. Juste un peu de blé ‘man, allez c’est samedi quoi,.. Carte de membre svp, sans quoi on n’entre pas. Ok man, bien compris, je vais aller voir ailleurs, ailleurs c’était pas loin, j’en ai pris pour six mois… Rapport pour bonne conduite, peut-être tu sortiras. Et d’ici là les mecs j’espère avoir trouvé l’endroit où je ne serai plus le transfrontalier…
Tu marches dans le couloir de la gare Centrale. Pile au milieu. Tu avances bien au centre de l’allée crasseuse, à l’exacte distance entre les deux murs. L’air que tu déplaces en progressant forme une turbulence qui devrait te renvoyer exactement à ce que tu voulais éviter. Mais il n’en est rien.
Car maintenant tu t’en fous…
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Le blues du généraliste
Christophe Lefort, grande distinction
Un des premiers de la promotion
Serment d’Hippocrate, accolade
On dit adieu aux camarades
Diplôme en main, entrée en piste
On est médecins généralistes
Sept ans d’études, faut s’accrocher
Pour réaliser un rêve d’enfant
Depuis toujours je veux soigner
J’ai même contenté mes parents
Volontiers la banque m’accorde un prêt
J’investis tout dans le cabinet
Je choisis le meilleur équipement
Je suis jeune, enthousiaste, un gagnant
Je suis heureux, je vis, j’existe
Je suis médecin généraliste
Consultations l’après-midi
À domicile la matinée
Sur rendez-vous le vendredi
Un court week-end pour me reposer
Bien sûr je suis conventionné
Je pratique le tiers payant
Heureux, mais un peu fatigué
J’ai l’estime de tous mes patients
Ça fait dix ans que je résiste
Je suis médecin généraliste
Le temps passe et d’année en année
Je travaille toujours plus tard
On nous inonde de papiers
On nous colle des amendes de retard
On nous menace de sanctions
On nous harcèle de contrôles
Ma carrière qui était une passion
Je commence à la trouver pas drôle
Entre angines, infections et kystes
Suis-je encore un généraliste ?
Vingt ans que j’ai quitté la fac
Vingt ans que je ne prends pas le temps
Je deviens hypocondriaque
Je sens que je glisse lentement
Les circulaires du ministère
Les mises en garde de De Block
Les papiers, la compta à faire
Et les patients, du toc en bloc ?
Je n’étais pas venu en touriste
Je suis médecin généraliste
Je ne suis pas un fonctionnaire
Un poussiéreux, un gratte-papier
Dis Maggie, t’as rien d’autre à faire
Que de venir nous harceler ?
J’ai dû me rendre à l’évidence
J’allais craquer, j’ai arrêté
Le temps de reprendre confiance
J’avais d’abord pensé me flinguer
C’est ma femme qui m’a soutenu
Je voulais pas lâcher mes patients
Elle m’a dit « si tu continues
Tu partiras les pieds devant
Tu seras le premier sur la liste
Adieu, fini le généraliste »
J’ai décroché pendant trois mois
Fallait, c’était Maggie ou moi
Je me foutais du manque à gagner
Mais les malades étaient largués
Y en a beaucoup qui m’ont écrit
Ils reviendraient quand je serais guéri
Je pleurais comme un petit enfant
Je paniquais en m’endormant
Je voyais des faces dévastatrices
Qui disaient : t’es qu’un généraliste
Bienheureux si tu t’en relèves
Ici des fois c’est marche ou crève
J’en ai bavé, mais un matin
J’ai repris le chemin du cabinet
Tu comprends, quand on est médecin
On est le dernier à se soigner
Sans doute il fallait que ça m’arrive
Beaucoup appris, et même pas triste
Tout ça il fallait que je le vive
Je suis un putain de généraliste
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Un déménagement
Un déménagement ! Le gros mot est lâché
Je me demande comment j’arrive à le prononcer
Moi qui ne supporte pas un placard entrouvert
Moi qui gueule sur les gosses pour un slip à l’envers
Des miettes sur le tapis me rendent parano
Un objet sur le lit et me voilà K.O.
En évoquer l’idée me donne des boutons
Et me fait éructer « Enfer et damnation ! »
J’imagine le chantier que sera la baraque
Alors soudain je tremble, je frémis, bref je craque
Pour moi qui déménage une fois tous les vingt ans
Tout Amélie Nothomb en pile sur le divan
Et les fauteuils poussés au milieu de la pièce
Parce que tout autour on empile des caisses
Dont on a oublié ce qu’on y avait mis
Non vraiment je vous assure c’en est trop les amis
Les tableaux décrochés et les marques sur les murs
Les bibelots emballés dans des boîtes à chaussures
Cuisine et salle de bain, cave, garage et bureau
Faire couper téléphone, électricité, eau
Sans compter les couloirs, les recoins, les paliers
Le vestiaire, la douche, corridor et grenier
Un déménagement, mais pour quoi faire voyons ?
Tu n’es pas bien ici, tu n’aimes pas cette maison ?
L’herbe serait donc plus verte à Watermael-Boitsfort
S’il te plaît, réfléchis, fais un petit effort
Moi je pars chez mon psy, ça te laisse un peu de temps
Pour revoir ta copie sur ce déménagement
Entre-temps on pourra si je suis devenue dingue
Choisir entre la corde, le cutter et le flingue
Et si grâce au toubib je ne pète pas les plombs
Promis, je lui laisse tous mes Amélie Nothomb.
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