Barbara Y. Flamand

Biographie

Barbara Y. Flamand, poète de 13 recueils dont six traduits en tchèque, auteur de nouvelles, également traduites en tchèque, d’un roman « L’odeur », de deux essais de philosophie politique dont un ‘L’autre sacré » traduit en tchèque et de plusieurs pièces de théâtre. Du réalisme au fantastique, en passant par la satire, le merveilleux, le symbolisme, l’humour, ses écrits dévoilent son anticonformisme et sa position critique envers le monde.

Poésies

Imaginez
La Grand’ Place de Bruxelles sans ses fleuristes…
Elle pâlirait de sévérité.
Le Mont des Arts sans flâneurs…
Il mourrait d’ennui.
Les bancs du Cinquantenaire sans leurs mômes…
Ils gémiraient de solitude.
Les gouttières sans leurs chattes et matous
Se croiraient vieilles avant l’âge,
Et les pylônes sans leurs hirondelles
Sembleraient des sentinelles absurdes
Veillant sur le vide.
Car la ville n’est ville
Que dans le bourdonnement de la vie.
Imaginez
Le rayon démoniaque d’un savant fou
Qui dissout chairs et squelettes, poils et plumes
Et jusqu’aux ailes des mouches…
Imaginez
Les feux clignotants aux carrefours
Devant des voitures ahuries,
Les chantiers ouverts comme des tombaux
Et, par-dessus, les grues
Avec leur mâchoire vorace et insatisfaite ;
Les livres des bibliothèques et les tableaux des musées
Promis au néant,
Egmont et de Horne mourant une seconde fois
D’avoir perdu nos yeux et notre mémoire.
Imaginez
Pierres béton bronze dans un silence stellaire
Car sur l’autel des églises, même Dieu ne souffle plus
Jusqu’au jour où…
Un être venu d’ailleurs, transparent comme la première source
Du fond des temps
Réveille de son pas ferme la ville momifiée
Et ressuscite nos ombres.

Il est des heures si dures
Que le plus frais souvenir d’enfance
En meurt.
Ces heures ne tournent pas
comme d’autres heures.
Elles frappent dans la nuque
À coups de bec
Car ce sont des vautours affamés
Des débris de l’âme.
Il est des heures si dures
Comme si la terre se vengeait
De notre existence.
Ces heures ne tournent pas
Comme d’autres heures.
Elles amassent sous le crâne
Des piqûres lancinantes
D’abeilles échappées d’une ruche
Qu’un fou saccage.
Pourquoi t’insurger
Quand d’autres ne connaissent pas
Ces heures meurtrières ?
Eux, n’ont jamais entendu
Le chant du rossignol
Que tu pleures aujourd’hui.

Vraiment, il faudrait beaucoup de soleil
pour sécher les larmes suspendues
Dans l’aube qui pointe.
Ce sont des larmes du passé
Qui sourdent des entrailles.
Une source intarissable
que seule la mort,
d’une lampée goulue,
peut boire.
En attendant…
Il faut sourire derrière un voile,
parler de choses et d’autres
en comprimant dans sa voix
les violons qui grincent.

A Vladimir et Eva

A Jana et Milan

J’ai vu le Pont Charles
Et ses saints pétris d’éternité ;
Quand la nuit joue des apparences,
Le château,
Magique comme une légende.
Et les coupoles noires et les coupoles dorées,
Les cathédrales et les demeures seigneuriales
Où, un jour pourtant,
Sans s’annoncer, la mort entrait
Comme chez le manant.
Dans Prague, à chaque détour d’avenue
Le Génie nous fait face ;
Nous rapetissant de quelques têtes,
Il gronde :
Voyez ! Consommateurs avides
De coca et shell-over-the-world,
De vidéo-clip et de disco,
De pub et media-ôte-cervelle,
De prêt-à-l ’emploi, prêt-à-penser,
De super-vedettes et de superman.
Voyez ! Moi, le Génie,
J’ai marié la matière à la forme,
La forme à la beauté,
La beauté à l’esprit,
J’ai planté l’art dans la cité,
La poésie dans la vie,
Et dans les consciences, la lumière.
En moi, découvrez l’homme dans sa plus haute sphère,
D’inspiration et d’étincelles,
De savoir et de labeur.
Si vous ne savez la pierre mûrie de souffrance et d’amour,
Si vous n’y voyez la chair de l’artiste transparaître
Et le regard du poète l’embrasser pour en nourrir son chant,
Vous avez moins d’âme que les pigeons de Prague
Voltigeant dans ma gloire.
Ah, les pigeons !
Sur les ailes des anges,
Les voûtes, les tourelles, les réverbères,
Au pied de Jean Huss,
Sur les bancs des parcs publics,
coiffant les lions au jardin du roi
Et sa Majesté elle-même,
Les pigeons,
Innocemment effrontés, familiers
Des blasons et des pavés.
Peut-être oublierais-je un jour
L’auguste figure de Charles
Ou d’un portail, le détail baroque ou gothique,
Mais les pigeons voleront dans ma tête,
Perturbateurs primesautiers
De la magnificence des rois.
J’ai vu la Vltava,
Large, paisible, pleine
De l’indifférence nonchalante des fleuves
Traversant les cités rayonnantes ou meurtries,
Les cités que les peuples forgent de leurs mains vaillantes
Et que les guerres blessent mortellement.
Arcs, pylônes, ogives, restés par-dessus les fleuves
Tendus dans votre perfection !
Résistez aux ambitions redoutables des nations !
Que la paix vous garde, fleurons de son triomphe !
Que jamais la Vltava,
Large, paisible, pleine
De l’indifférence nonchalante des fleuves,
Ne roule sous le sifflement de démons d’acier
La tête éclatée des saints du Pont Charles.
Qu’elle berce toujours, comme en ce 7 mai
Que le soleil couronne,
Les cygnes glissant vers leur destin, confiants,
Leur cou sinueux plus majestueux qu’un port royal.
Peut-être oublierais-je un jour
La maison du puits d’or,
Mais quatre cygnes blancs traverseront mes rêves
Dans le silence hautain d’une douleur secrète.
Et les lilas de Prague… !
Inattendus. Surgissant ça et là
avec la prodigalité des pauvres
Qui n’ont à offrir autre chose que leur souffle.
Je les ai butinés comme une abeille gourmande,
Aimés d’un amour de brève rencontre,
Attisé par la fuite de l’instant.

Peut-être oublierais-je un jour
Quelque ornement raffiné de la Place Wenceslas,
Mais les lilas crèveront mon cœur
En nostalgie lancinante et douce
Tel l’effluve du passé,
Cet effluve qui enveloppe le vieux Prague de Jean Neruda,
Qui s’entête entre les échoppes, les acheteurs, les caméras,
Les caméras impuissantes à saisir l’impalpable.
Tant qu’un rêveur, un seul, s’attardera
Devant la maison du poète,
Et qu’autour, les vies disparues s’animeront
Dans un silence pudique,
Tant qu’un rêveur, un seul, écoutera
Le poète
Comme une voix essentielle sans laquelle
Le lilas ne serait qu’une fleur de saison,
L’orme une espèce botanique
Et un accident géologique la montagne,
La vie ne sera pas dérisoire.
Et, par ce quidam, homme authentique
Dans une humanité défaite,
Le Génie saura
Qu’il n’a pas vibré, ni lutté, ni créé en vain
Et qu’il est immortel.

Je hais l’automne.
Les parcs sont tristes comme des veufs au premier jour de deuil ;
Des bancs délaissés suintent une mélancolie humide
Et les arbres, bras dressés au ciel,
Ressemblent à de mauvais acteurs de tragédie.
Je hais l’automne.
Dans le vent souffle un trompettiste pris de démence ;
Il crache sa fureur sur la face des miséreux
Transis dans les encoignures en compagnie des feuilles maculées
Qui craquent comme des os de moineau dans la gueule d’un chat.
Je hais l’automne.
La pluie fait sur les vitres un bruit infernal de marteau
Cognant l’enclume, elle suspend des rideaux liquides
Que les voitures traversent avec des yeux jaunes de créatures
Extra-terrestres, résolues aux provocations irrémédiables.
Je hais l’automne.
C’est alors que mon chagrin me serre dans sa poigne,
Qu’il fait saigner toutes les plaies que le temps a léchées.
Je sais vieux frère,
Que nous sommes l’un à l’autre sans qu’un contrat ne nous lie.
Je suis la racine, tu es la fleur,
Je suis le violon, tu en es l’archet
Et de ma chair la fibre la plus coriace.
La source miraculeuse où j’allais ranimer ma joie
Quand les coups l’avaient pâlie,
Ma source miraculeuse a disparu dans la débâcle de mon Eden.
Je sais, vieux frère
Qu’il nous reste encore beaucoup de jours à soutenir,
Des jours de voilier sur la haute mer
Et de trappe sous un tapis de pâquerettes,
Des jours de perles jetées aux cochons
Et d’ascension boiteuse sur un air de lampion,
Des jours de Hop là ! Nous vivons !
Et de sauve-qui-peut dans l’incendie du cœur.
Jusqu’au jour où…
Craquera le fil qui nous suspendait
Au-dessus du volcan.

Ce matin,
Un peuplier pousse dans mon ventre.

Si vous voulez faire mon portrait,
Tracez cet arbre pur et dur dans le vent.

Tracez entre ses branches,
Les rayons du soleil,
Et un oiseau chaud
Comme le sang d’une jaune amante.

Et placez au-dessus de sa tête
Un horizon si vaste
Que vous vous croyiez à l’orée du monde
Quand la terre
Ne porte pas encore l’homme
Et qu’elle n’est que promesse.