Tout jardin a la profondeur …
Tout jardin a la profondeur de l’ombre.
Le mur la protège des atteintes du monde.
Le coeur s’y recueille. L’esprit veille.
Parfois, un souvenir passe comme un visage.
C’est un enfant de jadis que la photo ne montre pas bien;
Le temps a coulé sur l’herbe et les traces sont sèches.
Ma vie est ainsi faite : solitude et oubli.
Quand la tristesse suinte au bout des doigts
mets-la en vers
tresse pour ce peu une phrase
qui puisse étourdir ton chagrin
On laisse venir cette pauvre
lumière
cueillie entre les murs
un jour de canicule
l’ombre chaude d’un enfant
oublié
on semble frôler la perte
ou la déconvenue
quelque chose a failli
se produire mais où
parfois on ne sait rien d’autre
que l’effroi le doute
même si le coeur s’affaire
Je lis le monde dans ces regards
à la trame des murs
dans le lieu clos des chambres
je ne sais rien d’autre
que le souffle retenu
la voix brisée sur l’attente
parfois le silence s’invite
au dos de ma patience
la beauté se cueille là
entre lumière et ombre
dans les reliefs du jour
L’errance cette école de patience
On a souvent puisé l’eau des sentes
Et mesuré à petits pas la beauté
des mondes
Un jour le pied se fait plus ferme
Et la lenteur a raison de nous
On a trouvé en chemin
Des raisons d’espérer de douter
D’éclairer les petites pierres
D’écrire sur elles d’autres petits mots
Parfois l’enfant réussit à retrouver
ses rêves et leur logis intime
il creuse en lui les contours
d’un paysage et attend
il ne sait rien encore
de ce qu’il trouvera
en chemin
lorsque le temps venu
de se remémorer
aura pointé à la fenêtre
Où va le traqueur d’ombre
au fil des ruelles
se sachant traqué
le long des murs
où il peine?
Parfois la lumière nous manque
comme un baiser
elle s’éprouve dans la solitude
elle vainc toutes nos pauvres
ombres
Tu te déprends de la solitude
dans l’aire de l’été
si tu convoques les îles
c’est la foule qui te surprend
assoiffé chancelant
au coeur les mots
qui délivrent
(Neuf fragments d’un recueil inédit : Matière des soirs, 2022)
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Tard, il se fait tard …
Tard, il se fait tard, et la solitude est à nos portes, comme la guerre.
Parfois, le temps de regarder au dehors, et les vitres brisées ne reflètent plus rien, qu’une sombre désolation.
Le ciel toujours de traîne, d’un hiver violent sans ébauche de printemps.
A Lviv, à Kiev, ailleurs, on s’assure que l’enfant sera protégé des balles, des obus, des bombes.
L’espérance ce baume des innocents.
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Tard, il se fait tard, dans l’Europe qui était près de sombrer, mais qu’avive aujourd’hui ce ressaut de la résistance, peut-être que tout n’est pas perdu.
Dans toutes les rues Zelensky du monde, des voix osent, se remparent, quelqu’un bronche qui jusque-là se terrait, se taisait. Une journaliste russe hisse la vérité sur un panneau cruel qui va décider de son sort.
Parfois l’espoir remue comme un chiot fragile.
Parfois, dans l’ombre qui tombe, juste un éclat procède de la bonté.
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Tard, il se fait tard , mais un bretteur de scène, qui faisait rire, est devenu un homme avec son poids de courage, de force et de conviction. Un petit être devenu un géant pour son peuple, le poussant au meilleur, au plus dur de sa condition.
Parfois, le cœur des hommes délivre des perles. A Kiev. Ailleurs.
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peut-être que les mères refuseront
de voir leur enfant mort sous la bombe
voudront conserver la belle image vivante
au beau temps de la paix splendide
quand tout était debout dans l’ordre
de la beauté sans murs brisés sans corps
disloqués au coeur des foyers
parfois le ciel est triste d’accumuler
les visages sans vie sages dans leur linceul
on entend quelque part une chansonnette
que de jeunes enfants répètent à l’envi
pour un air de fête
(Fragments inédits de « Une rampe de lumière »)
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