❈❈❈❈❈ Séance du 21 décembre 2019 ❈❈❈❈❈
THE LAST POETS, LES DERNIERS POÈTES….Ah, oui…Vraiment ?
Mesdames et Messieurs,
Chers Amies et Amis,
Amis du Grenier et de la Poésie,
Notre séance d’aujourd’hui sera toute entière consacrée au rythme et à la poésie, à sa musique, à son chant comme à son engagement politique et social, puisque nous recevrons le poète Aurélien Dony pour une présentation et une discussion autour de son dernier recueil, Du feu dans les brindilles, parut cette année chez Bleu d’Encre.
Et c’est une chance, qu’avant de l’introduire auprès de vous, nous aillons à nous pencher sur le group américain The Last Poets et sur l’art du spoken word qui ont tant influencés, non seulement, la poésie contemporaine et nos types musicaux les plus récents dont le rap est l’épigone le plus apparent mais qui, bien plus encore, se trouvent au fondement de notre esthétique moderne.
Une assomption préalable cependant, risquons mieux, un avis, voyez-le même comme un simple a priori si vous voulez ; un a priori personnel donc, mais que j’aimerais tenté de défendre devant vous :
Le Jazz -entendez la musique seule- à réaliser, le mieux, l’idéal poétique, entrevu par Hugo, poursuivi par Baudelaire et Verlaine, amorcé par Rimbaud, rêvé par Mallarmé et achevé par Apollinaire.
En mêlant à la solide base du blues, l’improvisation libre du sujet, j’affirme ici que, selon moi, le jazz a le mieux réalisé l’idéal musical du poétique ; et que le chanté-parlé, le Slam et, bien sûr, le Rap en sont bien les héritiers et dignes continuateurs.
Voyez ce point, chez moi, comme doctrinal, une question d’école en somme ! ☺
Et si vous pensez, comme Ezzra Pounds, que: « les mots ont une musique d’eux-mêmes, et [que] la musique d’un second « musicien » est une impertinence ou une intrusion », ( « The prose tradition in verse », in Literary Essais, 376) ou encore comme Valéry que: « mettre de la musique sur de bons vers, c’est éclairer un tableau de peinture par un vitrail de cathédrale ». ( Rhumbs, Littérature, in Œuvres, La Pléiade, II, 639).
Comme Milles, je ne pourrai que vous trompetez pour toute réponse: « so what » !
Vous connaissez, à présent, le principe de nos petites présentation ou évocation de sujet aussi je vous invite à suivre avec moi cette petite histoire que Lysztéria a intitulé pour vous:
The last Poets, les derniers poètes…ah, oui…vraiment ?
Au milieu des années 60 du siècle dernier, un poète et militant politique sud-africain exilé aux Etats-Unis, du nom de Kereopatse KGOSITSILE (1938-2018), prends l’habitude d’aller lire ses poèmes dans les bars jazz de Harlem.
Un soir, était-il pluvieux qu’un autre ? Trane & Milles auraient pu jouer bye bye blackbird et moi chanter: « bye bye blue devils » qui , en anglais, disent les idées noires.
Et là, dans le noir, le nègre se met à déclamer, mieux, à parler. Et que dit -il ?… Il appelle à la fin de la poésie et au début de la lutte armée… »Ainsi, dit-il, nous sommes les derniers poètes du monde » (“therefore we are the last poets of the world”)
The last poets, 3 mots dans un vers…tiens remet m’en un stp…ah oui on en était à…. 3… vers pour un mort alors, run Nigger !
1. Run nigger, 1’14 – The last Poets, (1970)
Tic-tac, tic-tac ; Le Temps est compté, tic-tac, tic-tac, le temps est compté, alors cours négro oui, cours car le temps n’a plus le temps, tic-tac, tic-tac, car le temps a fini de compter, tic-tac, tic-tac alors, cours négro !
Voici ce qu’entendent ce soir du 19 mai 1968, les passants du Mount Morris Park qui s’attardent, à Harlem, devant ces 3 jeunes hommes: Gylan Kayn, David Nelson & Abiodune Oyewole. Les derniers poètes étaient nés. Exit Kayn & Nelson, Oyewole recrute celui qui n’est pas encore Jallaludin Mansour Nurridin (1944/2018) et Umar Bin Hassan qui feront entrer le groupe dans la légende.
Tic-tac, tic-tac, le temps est compté en ce troisième anniversaire de l’assassinat de frère Malcolm X.
Tic-tac-tic, 2 ans après le « teen-points program » des Black Panthers, tactique ?
Tic-tac ? non ça n’a pas fait tic-tac ce 4 avril dernier à Memphis, plutôt clic-clac, Pan ! clic-clac, Pan !……ça l’a fait deux fois aussi comme tic-tac, tic-tac puis, le Pasteur est tombé….les imbéciles…..abattre leur meilleur ami !
Tic-tac, tic-tac, tiens comme le temps s’écoule……. ils ont bien couru les négros, Dis ; z’ont couru jusqu’à Mexico…tic-tac, tic-tac, où y’avait les jeux olympiques z’ont dit, tic-tac, pour toutes les nations du monde, alors, tic-tac, tic-tac, juste pour déconner, tic-tac, tic-tac, juste pour dénoncer hein même pas protester, tic-tac, tic-tac, z’ont levés le poing sur le podium les négros…alors, tic-tac, tic-tac…z’ont plus jamais couru les négros, non on les as exclu….ils s’appelaient Tommie Smith & John Carlos !
Tic-tac, tic-tac, tiens comme le temps s’arrête !……………………………… Tic-tac, tic-tac, c’est maintenant les jeux de Sydney, tic-tac, tic-tac, on est en 2000 mais z’ont pas oubliés les Zaustraliens tic-tac, tic-tac, alors ils l’ont pas invité, tic-tac, tic-tac, comment ça qui ? Bein tic-tac, tic-tac, Peter Norman ; sur le podium, là, le blanc devant Smith et Carlos qui, juste pour protester hein, tic-tac, tic-tac, même pas déconner, tic-tac, tic-tac, se rangea derrière ses deux frères de couleurs, bein tic-tac, tic-tac z’ont rien oublié donc l’ont pas invité mais Nous ; tic-tac, tic-tac, on n’oublie pas, on a rien oublié et en 2006, quand Clic-clac, clic-clac, le temps, pour lui, se sera figé, Smith et Carlos porteront son cercueil pour un dernier tango, tic-tac, tic-tac, au son d’un Chant noir…Dis, tu te souviens de Mexico ?
2.- Black is Chant, 0’58 – This is Madness (1971)
L’échec du Dr King -après les assassinats, pour les plus célèbres d’entre-eux, de Medgar Evers (1963) et Malcolm X (1965)- désespérait la communauté noire et reposait ainsi la question de la violence légitime autant qu’elle mettait en exergue l’aporie du désir d’intégration à la société américaine.
Les bourgeoisies noires s’étaient en effet bien gardées, jusque-là, d’adhérer, aux idéologies marxisantes. Il n’en sera désormais plus ainsi !
Le poète de la Harlem Renaissance, Countee Cullen (1903/1946) avait prévenu dans « From the Dark Tower » par ces vers restés célèbres: » We shall not always plant while others reap / We were not made to eternally weep. ».
From The Dark Tower- Countee Cullen (1928)
We shall not always plant while others reap
The golden increment of bursting fruit,
Not always countenance, abject and mute,
That lesser men should hold their brothers cheap;
Not everlastingly while others sleep
Shall we beguile their limbs with mellow flute,
Not always bend to some more subtle brute;
We were not made to eternally weep.
The night whose sable breast relieves the stark,
White stars is no less lovely being dark,
And there are buds that cannot bloom at all
In light, but crumple, piteous, and fall;
So in the dark we hide the heart that bleeds,
And wait, and tend our agonizing seeds.
Allez, je ne résiste pas: voici ma version de deux premiers quatrains du sonnet « Depuis la Sombre Tour » de Countee Cullen
» Nous ne planterons pas toujours pour que d’autres cueillent
Les offrandes dorées du fruit mûr à la chaire pleine d’orgueil.
Et nous ne supporterons pas toujours, humbles sous la muselière,
Que des gueux,
Qui valent moins qu’eux,
Tiennent leur frères, pour bien moins que poussière.
Non, nous ne jouerons pas toujours un air de flûte douce
Pour le repos d’une autre frimousse.
Et nous ne courberons pas toujours l’échine
Devant des brutes pleines d’une malice indigne.
Car ce n’est pas pour ça que nous avons été créés ;
Non, ce n’est pas pour pleurer d’éternité. (…) »
3.-When The Revolution Comes, 2’31 – The last Poets (1970)
» Quand la Révolution arrivera? …Fusils et pistolets remplaceront poèmes et essais…le sang coulera dans Harlem noyant tout, même le ciel et ; le Christ lui-même, au croisement de Lennox et de la 125ème, hèlera tout taxi, pourvu qu’il le sorte d’Harlem ! »
Tentation marxiste et révolutionnaire donc et puisque il apparaît -définitivement?- impossible de s’intégrer au grand rêve américain -et bien plus encore, à son identité, que faut-il faire ? Créer un état noir ? Retourner en Afrique ?
» Quand la Révolution arrivera, les Afro-disparus voudront dresser la tête, et cette tête disparue à présent redresser, fièrement, portera un afro ! « , dit approximativement la chanson.
Il est loin, le temps où l’on pouvait lire sous la plume de la première poétesse noire-américaine reconnue, Phillis Weathley (1754/1784): « Afrique, pays des erreurs et des ténèbres d’Égypte ».
Les Last Poets, qui naissent sur le macadam la même année que l’on académisera les Black Studies, anticipent donc le large mouvement d’intérêt pour les racines africaines qu’illustrera en 1976 le roman Roots d’Alex Haley (1921/1992).
Tout cela appellera -en réalité- plus qu’à un retour à l’Afrique, à une nouvelle esthétique et elle, elle sera africaine !
Pour les Last Poets cela signifiera, surtout, dans leurs premières productions, comme vous l’avez entendu et l’entendrez encore, un travail sur les percussions africaines et c’est auprès du célèbre percussionniste nigérian Babatunde Olatunji (1927/2003) qu’ils s’initieront à celles-ci.
Quoi ? Vous ne connaissez pas Babatunde ? Et pourtant vous connaissez ceci n’est-ce-pas ?
4.- New York USA les 0’38 » premières secondes – Serge Gainsbourg
Il est vrais, que SG n’avait pas reconnu volontairement que ceci, en fait, c’était ça:
5.- Akiwowo (chant to the Trainman), 3’42 – Babatunde Olatunji
Sacré Serge, ainsi Chopin n’a pas été le seul à souffrir de sa légendaire paresse et… par ailleurs, excellente oreille !
Reprise, reconnaissance, enrichissement du patrimoine africain. Voilà pour l’esthétique nouvelle qui se greffe naturellement sur la trame solide du blues et du jazz comme nos auteurs le rappellent.
6.- True Blues, 2’04 – This is Madness (1971)
7.- Jazzoetry, 3’50 – The Prime Time Rhyme of The Last Poets: Best Of Vol.1 (1999)
NB: ne pas confondre ce morceau avec l’album éponyme de 1976 !
« Mais à ces temps nouveaux, à cette nouvelle esthétique il manque encore quelque chose.
Oh le blues et ses avatars en reste la base, bien sûr, mais les temps sont plus nerveux et bien plus hachés comme le relève ce morceau de James Brown devenu hymne de la communauté afro-américaine.
8.-Say it loud, i’am black, i’am proud, 3’00 – James Brown (1968)
Brown, le mauvais nègre -et, en vérité, il l’était ! Mais, peut-il en être d’autres ?- l’Homme qui sauva Boston des émeutes après l’assassinat du docteur King avait sans doute compris mieux que d’autres comment opérer la catharsis chère aux aristotéliciens ; que les passions -mauvaises ?- ne pouvaient être purgées, en ces temps heurtés, qu’au prix d’une rythmique à la fois plus rapide mais surtout plus hachée, plus scandée (du latin scandere: « monter, gravir » par allusion au pied que l’on « levait » pour battre la mesure), plus tranchante et donc plus soutenue.
À ma connaissance, mais je ne suis pas un spécialiste, c’est de cette année, 1968, et de ce morceau qu’est inauguré ce tournant rythmique dont les raps les plus actuels (voyez par exemple Bigflo & Oli et, comme il vous le souffle, Busta Rhymes) ne sont jamais que la stricte continuation.
Et voici avec les Last Poets, ma boucle bouclée.
Car Rythme et Parole, Paroles et rythmes. Et, Mesdames et Messieurs, vous avez là, tout les ingrédients nécessaires pour vous faire du Rap qui, on vous le rappelle, est bien l’acronyme de « Rythm and Poetry » ce qui se traduit avantageusement, en français, par « rythme et poésie » !
Rythme d’abord !
Paul Valéry écrit, pourtant: » ce mot « rythme » ne m’est pas clair. Je ne l’emploie jamais. » (Cahiers, Pléiade, 1, 1281 – édition 1915). Pas clair ? allons donc…
9.- Fol’i (There is no mouvement whitout rythm) 10’50- Thomas Roebbers & Floris Leewenberg, 2010
– Monsieur Armstrong qu’est ce que le swing ? demandait au Maître une ingénue caille blanche que l’on avait pourvu d’un micro
– Mademoiselle, si vous ne le savez pas alors, je crains, que vous ne le sachiez jamais, avait répondu un Satchmo moqueur et méprisant sous le masque de l’apparente politesse.
Le rythme, on devrait plutôt dire les rythmes, posent, en fait, une question fondamentale, que le poète français Henri Meschonnic (1932/2009) me semble avoir le mieux perçu :
» le rapport interne entre le rythme et le sens ruine le sens unité, totalité. Il déplace le langage vers le discours, de la fausse neutralité dialectique-scientifique vers une mise à découvert desstratégies, des enjeux. Le rythme est la critique du sens. » [Critique du Rythme, Verdier, 2003, p.67]
« une théorie du rythme est une théorie du sens non pas parce que le rythme est le sens, mais parce que le rythme est en interaction avec le sens. Le poème est le discours où cette interaction est la plus visible. » [ibidem, p.82]
le rythme n’est pas le sens, ni redondance ni substitut mais matière de sens, même la matière du sens. » [ibidem, p.83]
Comme Valéry ? Tout cela ne vous est pas clair ?
Alors, pour vous en convaincre, voyez Shakespeare qui utilise la même expression » give me your hand » en Jules César (IV, 3,…) et en Marchand de Venise (IV, 1,…) qui n’ a pas la même signification, qui donc n’a pas la même intonation et donc pas le même rythme non plus.
Et vous, diriez-vous de la même manière et au même rythme, « Camarade », selon que dans un cas, vous haranguiez une foule ou, que dans un autre, vous demandiez à votre ami de vous « filez le joint » dans une soirée ?
S’il en va ainsi c’est qu’en réalité, le rythme précède le sens !
Vous ne me croyez pas ?
Voyez donc les carnets de Beethoven où il apparaît que la cadence et la mesure précède la mélodie qui va y arriver.
Le philosophe Alain l’avait déjà très bien remarqué lorsqu’il écrivait: « le poète est donc un homme qui, sous la touche du malheur, trouve une sorte de chant d’abord sans paroles, une certaine mesure du vers d’abord sans contenu, un avenir de sentiment qui sauvera toutes les pensées. » [Alain, Propos, « L’art du vers », La Pléiade, t.1,p.911]
Le rythme précède donc le sens, voilà pourquoi notre maître tambour bambara avait raison de dire qu’il (le rythme qui se dit fol’i en malinké, où il a en plus ou en autre -du français- une connotation de composant ontologique) se trouvait en toute chose, ou en terme plus philosophique, qu’il en constitue la matière, c’est-à-dire la Substance.
Ainsi ce qu’une société dira et fera de sa poésie et donc de sa rythmique renseignera toujours de ce qu’elle fait et dit du Sujet (de ce point de vue les discours pro ou anti-Rapp sont des plus instructif) ; Sujet parlant…
Ce qui nous amène à notre deuxième point: La Parole !
Vous rappellerais-je que rime et rythme ont sans doute commune origine ; Voyez ce passage de Montaigne: « je ne suis pas de ceux qui pensent la bonne rhythme faire le bon poème » [Essais, Livre 1, Chapitre XXV, « De l’institution des enfants, à Madame Diane de Foix Comtesse de Gurson »], voyez comme il écrit le mot rime manifestement rythme avec cette stupéfiante double-hache que lui reprendra Baudelaire mais pour dire rythme cette fois. [Petits poèmes en Prose, lettre à Arsène Houssaye]
La Parole, celle qui dit…celle qui dit la Poésie !
Retour donc à la parole inaugurale pour nos papys du Rap que j’avais délaissé.
Ok, mais alors quelle langue ?
Latin plutôt que grec ….pour Monsieur ?
Toscan ou françois plutôt que Latin…pour Madame ? [voyez comme le débat est ancien]
….et les enfants ? C’est important ça les enfants…vous savez…y’ dizent mèm qu’les not’ y cauze mèm pu fançais !
Et ils célèbreront Villon, se rassasieront de la langue célinienne, comme il se rassasiait de l’art nègre de Picasso…mais ah, c’est bête…où avais-je la tête, j’oubliais les nègres n’ont pas d’art !
Le Rap, Zemmour vous l’a dit ce n’est pas de l’art, alors tenez-le vous pour dit !
Qu’importe Villon – ses patois et ses parlés populaires-, qu’importe Corbière -et ses atavismes bretons-, qu’importe Joyce et Céline -leurs argots et autres familiarités-
Zemmour vous l’a dit ces grossièretés, ce n’est pas de l’art et donc…ce n’est pas de l’art…tenez-le vous pour dit….circulez, y’a rien à voir !
Moi, Zemmour me fout l’Seum, m’donne des zemhouroïdes alors, si vous voulez bien, laissons l’Zem !
Nous parlions de langue… ma belle Céline, et de vous, féline sous la dentelle blanche.
Quelle langue ? Écoutons Hugo:
— « Jusqu’à ce jour il y a eu une littérature de lettrés. En France surtout, nous l’avons dit, la littérature tendait à faire caste. Être poëte, cela revenait un peu à être mandarin. Tous les mots n’avaient pas droit à la langue. Le dictionnaire accordait ou n’accordait pas l’enregistrement. Le dictionnaire avait sa volonté à lui.[…]Sortons, il en est temps, de cet ordre d’idées; la démocratie l’exige. L’élargissement actuel veut autre chose. Sortons du collège, du conclave, du compartiment, du petit goût, du petit art, de la petite chapelle. La poésie n’est pas une coterie. […]Comprend-on cette chose étrange, une littérature qui est un aparté!
— Il semble qu’on lise sur le front d’un certain art: on entre pas.
— Quant à nous, nous ne nous figurons la poésie que les portes toutes grandes ouvertes. L’ heure a sonné d’arborer le Tout pour tous. Ce qu’il faut à la civilisation, grande fille désormais , c’est une littérature de peuple.
— 1830 a ouvert un débat, littéraire à la surface, social et humain au fond. Le moment est venu de conclure. Nous concluons à une littérature ayant ce but : Le Peuple. »
— (William Shakespeare, 1864, j’ai pas noté la page mais si vous le lisez vous la retrouverez !)
Une langue, disiez-vous ?
Point d’autre donc que celle du peuple ; que celles des peuples, serait-il plus juste de dire.
Et, dans notre cas, celles des peuples noirs dans tous leurs parlés !
Faire entendre l’homme noir et le laisser parler ; Déjà Zora Neal Hurston, la poétesse de la Harlem renaissance et anthropologue, comparse de Langston Hughes et co-fondatrice de la revue Fire en nourrissait le projet (« Characteristic of Negro Expression », 1934) et l’illustrait dès les années 20.
10.- Color Struck [Frappé de Couleur], Zora Neal Hurston, Fire, 1926, trad. Fç E. Dobenesque, édition
Epsylon, 2017, in La Fabrique de l’histoire, Black Studies (2/4), « Fire ! Harlem 1926 », 52,00′, France Culture, 23/01/2018, de 28’48 à 30’12
Un projet qui impliquait nécessairement un retour à l’oralité et le spoken word allait en fournir la matrice.
Spoken word ? Qu’est-ce-à dire ? Et tout d’abord comment rendre cet intraduisible en français ? Qu’est exactement ce fameux « Mot parlé » ?
L’expression renvoie tout d’abord au caractère oral de la transmission (qui suppose donc une mise en relation in vivo du poète et de son public), ensuite à une parole caractérisée à la fois par son éminence et son élégance mais qui fait aussi référence à la langue communément parlée.
Ce sont les poètes de la Beat-Generation, Allen Ginsberg (1926/1997), Gregory Corso (1930/2001), et bien sûr, Jack Kerouac (1922/1969), « the jazz poet » qui en populariserons le style.
L’affaire a débuté le 7 octobre 1955, lors de la Lecture publique de la Six Gallery (Six Gallery Reading) à San Francisco, par la lecture par Allen Ginsberg de son texte-manifeste de la Beat-Generation, « Howl », « Hurlement », texte dédié à Carl Solomon, son ami, interné en hôpital psychiatrique.
Ginsberg, l’indécent ; Ginsberg le camé ; Ginsberg, le diable juif à tête de Ganesh et ventre de Bouddha ; Ginsberg le Pédé, y lit son long poème en prose -instant fondateur de la littérature américaine-, son long cris de rage contre la société américaine. Un poème dont il avoue qu’il n’aurait pas été possible sans W. Blake (1757/1827) W.Whitman (1819/1892) et …..Apollinaire !
Alors le poète, tempête ses obscénités et ses vérités décousues matinées de mots crus.
Décidément, non, Monsieur Zemmour, le « gangsta rap » n’a rien inventé ; écoutez, écoutez plutôt :
» J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus,
se traînant à l’aube dans les rues nègres à la recherche d’une piqûre en furie,
initiés à têtes d’anges, brûlant pour cette céleste et ancienne liaison avec la dynamo étoilée dans la mécanique nocturne,
qui la pauvreté en haillons et œil creux et défoncés restèrent debout, fumant dans l’obscurité surnaturelle de chambres bon marché, flottant perchés sur les villes en contemplant du jazz!
qui dénudèrent leurs cerveaux aux Cieux sous le Métro Aérien et virent des anges Mahométans titubant illuminés sur les toits des taudis,
(…)des autres squelettes,
qui mordirent les détectives au cou et poussèrent un cri aigu de plaisir, dans les paniers à salade pour n’avoir commis aucun crime, sauf celui de leur sauvage pédérastie et de leur ivresse,
qui hurlèrent à genoux dans le métro et furent traînés du toit en agitant parties génitales et manuscrits,
qui se laissèrent enculer par de saints motocyclistes, et hurlèrent de joie,
qui sucèrent et furent sucés par ces séraphins humains, les marins, caresses d’amour atlantique et caraïbe,
qui baisèrent le matin et le soir dans les roseraies et sur le gazon des jardins publics et des cimetières répandant leur semence à qui que ce soit, jouisse qui pourra,(…) » [Traduction, Emilie Arseneault…un peu revu par mes soins]
Eric s’agite tandis que Céline m’excite…à présent qu’elle est nue sous les draps.
Ca jase, Jacques…et moi j’ voudrais du jazz…. Jack !
11.- Goofing at the Table, 1’46 – Jack Kerouac
Chez nous, Ferré, Gainsbourg, Dutronc, Leotard, Oxmo Puccino, Mc Solaar ou Grand Cœur Malade s’en serviront.
Le Parlé-Chanté, le slam, le rap à parole ou à « flow » sont bien, ne vous en déplaise, Mister EZ (et tu vois, que même toi, Eric, tu rimes, en fait, avec Jay-Z), les dignes continuateurs de ce Pauvre Lélian qui ne demandait qu’une chose: « de la musique avant toute chose » ! (P. Verlaine, Art Poétique)
Mais, tic-tac, tic-tac, puisqu’à moi aussi le temps est compté, tic-tac, tic-tac, comme Hugo, il me faut achever mon histoire: Tout cela ne serait pas advenu sans ce jour de mai 68, sans ces papys aujourd’hui assagis qui voulait juste comprendre ce que Noir Veut Dire ?
Quant à moi ? Oh, vous savez, je n’ai aucun mépris pour Valéry….pour Zemmour, si, mais pas pour Valéry…d’ailleurs j’ai toujours eu un p’tit faible pour les filles ☺
12.- Understand What Black Is – 6’10- Understand What Black Is (2018)
Lysztéria Valner, pour vous servir !
………………….. ooooooooooo …………………..
Lecture au pinceau du chant aurélien
Lecture annotée du Feu dans les Brindilles d’Aurélien Dony, Bleu d’Encre, 2019
Nous avons donc reçu, avec grand plaisir, le jeune poète Aurélien Dony, lors de notre dernière séance de l’année 2019 et je vous livre ci-après le fruit de ma lecture et de mes questionnements au sujet de son recueil.
Présentation générale
Le recueil se compose d’une exergue, d’une citation, d’une préface; Suit un prélude, 20 chants dont deux perdus et une outro ou récapitulation logiquement diminuée mais contenant de longues appogiatures écrites en vers bref. Ce que bibi, il aime beaucoup !
En dehors du prélude et de l’outro qui ne sont pas numérotés -ce dernier étant au surplus le seul texte titré- tous les poèmes sont sans titres mais ont un numéro. Les titres repris ci-dessous sont donc, à une exception près, toujours repris en fonction du premier vers.
Lecture annotée
Exergue de l’auteur
Où l’on y annonce « le cœur comme musique »
Citation
L’auteur choisit le directeur de la collection Poésie chez Gallimard et critique littéraire du journal Humanité, Jean-Pierre Siméon qui explicite l’exergue puisqu’il y rappel que « tout vrai poème est contemporain d’un cœur qui bat » et qu’ainsi la poésie est « rythme essentiel,…, scansion ».
Pour le reste ma mère est coco et je me définis moi-même, politiquement, comme d’extrême gauche….même si j’aime à préciser que je ne suis ni révolutionnaire, ni matérialiste historique, ayant quand même un minimum d’Un-cohérence. On aurait donc pu en prendre beaucoup d’autres pour nous parler de musicalité mais Siméon m’ira très bien….en plus, mais sans doute longtemps après ma mort, moi aussi je finirai chez Gallimard….une maison que j’adore !
Préface
Écrit sur le mode de l’anaphore comme il convient aux appels, prières et objurgations -on se souvient du J’accuse de Zola ou du sermon sur la montagne-, l’anaphore est, on le sait, un procédé d’insistance sémantique et de création rythmique largement utilisée en poésie qui permet de faire économie ou de suppléer à la périodicité du vers. Rimbaud aimait à privilégié ce moyen rhétorique pour donner de la musique au poème dit-on… Brassens (rêve), Brel (désir) et Ferré (réalité) y sont pourtant opposés par l’auteur.
L’anaphore employée est ici: « il ne faut pas oublier ».
Que ne faut-il donc pas oublier selon l’auteur ?
« Que le chant est à soi l’unique révolte », « que le combat est avant tout de repeupler les mots »; qu’il faut de l’amitié et du cœur comme en témoigne la référence au poète/chanteur français contemporain Damien Saez -tiens, encore un type qui se définit comme communiste-; qu’il faut -en bon hugolien- définir la clique ennemie et que » tout commence ici »
Prélude: « Sur chant d’homme en marche »
Il s’agit de 4 sizain à vers libres -mais il nous faudra revenir sur cette notion- qui d’une part, résument les propos liminaire, constituent une reprise du « en-avant rimbaldien » et définissent l’objet de son chant/champ -autant un que autre !- qui doit-être selon la proposition de l’auteur, le réel et le quotidien des hommes.
Chant 1: « Poème »
Il s’agit de 9 quintil qui dressent l’état que l’auteur se fait de la poésie (contemporaine et peut-être plus spécifiquement belge -au moins francophone- mais nous y reviendrons). Il y rappel que tout l’enjeu est la prise en compte, bien plus, la prise en charge de la réalité ; il faut d’après lui « tordre le cou » à toute poésie muette sur les drames du siècle et l’on a envie de lui demander s’il juge alors qu’une telle poésie constitue de la mauvaise poésie ?
Il lui faut donc chanter misères(et disons-le d’emblée il chante plus misère que joie) et joies du monde, sortir la poésie de son embourgeoisement mais, il en averti, « son combat est condamné »; serait-ce là une faute du siècle, des modes poétiques ou du goût du public ? Ainsi et aussi, le chant du condamné n’a-t-il pas de chance d’être entendu ou d’être apprécié, veut-on lui demander ?
Chant 2: » Si je compte mes doigts »
Il s’agit de cinq tercet ( 4 d’hexasyllabes et le dernier comptant 1 hexasyllabe et deux alexandrins) où l’auteur pose la question du « que reste-il » pour faire et qui doit faire poésie ? L’objet en reste inchangé, le poète doit parler des réalités tragiques de ses contemporains -encore serait-il peut-être contemporain de tout cœur battant ou ayant battu ?-
Chant 3: « Depuis combien de temps déjà sur le papier »
C’est ici qu’en 5 quatrains (d’alexandrins), 3 quintil (hexasyllabique) et 1 monostique (d’alexandrin) le poète aborde la question de la nécessité poétique !
On a qu’une question pour lui: quel est donc « le vin nouveau à verser dans le sang des rameurs » qu’il évoque ? Ce ne peut-être l’objet qu’il en a définit en tout cas, qui lui est tiré d’une vigne ancienne dont Rutebeuf et Villon sont de si beaux raisins. Si ce n’est donc sur le fond et quant à son sujet, c’est alors qu’il doit s’agir des formes pense-t-on ?
Ce qui -eut égard- au texte en question amène à se demander pourquoi l’auteur a-t-il choisit ici de croiser hexasyllabe et alexandrin plutôt que d’autres métriques; pourquoi a-t-il retenu l’hexasyllabe pour les trois strophes d’oraisons et suivant, qu’elle est la rythmicité de l’hexasyllabe et donc enfin, pour lui c’est quoi et ça sert à quoi un alexandrin ?
Perso, j’ai adoré cette liaison: » Les/ mains/ roi/de/zaux/rames »
1/ 2 / 3 / 4/ 5 / 6……….mais bon, c’est une question de goût personnel!
Chant 4: « Bien des hommes »
24 vers libres basés sur la figure rhétorique de l’anadiplose -consistant pour rappel en la reprise en tête du vers suivant des derniers termes du vers précédant- qui joue également sur la symploque – c’est-à-dire l’entrelacement ou croisement-.
D’où cette question naturelle, parmi toutes les figures de style de répétition quel rythme singulier l’anadiplose et la symploque ont-elles ?
Ce texte où le fleuve se substitue à l’image du bateau…. »ivre » de la poésie et porte sur elle un regard amer puisque le « fleuve n’a plus fond où jeter le rêve des bateaux », bien pire encore aux yeux de l’auteur elle est une trahison puisque le « fleuve à noyé tous les yeux et jusqu’à l’idée du départ » et il faudra, on l’imagine, un courant nouveau où tout repêcher…et c’est-là penseront d’aucuns, mallarméens sans doute, éternel pêché de jeunesse.
L’étude des assonances est ici fort intéressante avec cette succession: om/é/en/wate/osse/euve/omme/an/om/au/eu/au/ar/om/ern/euve/wate/euve/au/é
Remarquable et réussit les passages osse/omme et are/erne !
Ce qui amène cette dernière question sur comment en poésie le son créé image et produit l’hallucination des mots chère à notre cher Raimbaud ?
Chant 5: « Parfois »
Si j’ai fais bon compte, 55 vers répartis en 3 strophes de 39 vers suivis de 15 vers et d’un monostique. Le texte prend l’image de la saison pour parler de la poésie qu’elle ne situe qu’en un trop long hiver « où les oiseaux se meurent »…..il faudra donc bien faire un peu de feu pour réchauffer tout ça !
Chant 6: « Le ciel peut-être bleu »
Un poème monostique clin d’œil -on suppose- au chantre d’Apollinaire: » et l’unique cordeau des trompettes marines », pour moi le vers le plus révolutionnaire de la langue française !
Une question pointe ici, cet hexasyllabe assez plat et banal tourne-t-il le chantre d’Apollinaire en dérision ?
Et, s’il y a bien référence à ce texte, sans dérision, qu’est-ce qu’un chantre (mot qui est quand même à connotation religieuse) pour l’auteur ? Cela veut-il dire que l’auteur fasse référence à la lyre du roi David et à ses chantres et qu’il considère la poétique comme une mystique, ce qui pour le coup le rapprocherait quand même de Mallarmé ?
Chant 7: « Ce n’est pas le vent qui me bouscule »
Un neuvain suivi d’un huitain et un neuvain entremêlé qui pose la question de la possibilité du dire et de l’exprimable en poésie ?
Une des très belle pièce du recueil avec ce « bouscule » qui ferme le huitain et ouvre autant qu’il le lie au neuvain final .
Le premier neuvain est écrit en octosyllabe (3) et alexandrin (6) ; le huitain est en alexandrin (ce qui me fait conclure que nous avons bien 3 strophes 9+8+9 et non 9+7+9, outre qu’ici le rejet n’aurait tout simplement pas de sens) sauf le dernier vers qui est bisyllabique et le neuvain final est en hexasyllabe à l’exception du premier vers qui est le dernier de la strophe précédente et qui est donc bisyllabique.
A relevé au niveau typographique deux vers -de la 2ème strophe- en italique ; simple mise en lumière, citation, autre fonction ?
Sur le fond qu’est-il possible de dire en poésie ? Sur la forme, qu’est-ce qu’un rejet réussit selon lui ?
Chant 8: « Sur la table d’un café »
Sept distiques définissant la main de l’anonyme comme véritable objet du travail du poète.
Chant 9: « Je ne recommence pas à chanter »
54 vers, nouvelle expression du en-avant rimbaldien avec ces vers très réussi: « je suis en meute et à moi-même/cent mille loups » ; « cent mille loups/pour un seul homme/combien de loups/pour ce peuple qui marche ? »
Chant 10: « Si tu veux »
J’ai compté 79 vers à la tonalité fort hugolienne quand le maître s’écrie: « quand je vous parle de moi, c’est de vous que je parle »…bon c’est de mémoire donc je paraphrase peut-être mais le sens était bien celui-là.
Et ainsi nous parle l’auteur de son contemporain.
Deux choses à noter ici, d’une part sur le travail poétique comparé à l’artisanat d’un corniste et d’autre part sur le recul poétique. On voudrait en savoir plus sur l’art du corniste et sur le recul nécessaire en poésie ?
Au passage on relèvera l’excellent usage fait ici du gros mot en poésie avec ce tétrasyllabe « qu’avec recul » auquel répond cet autre tétrasyllabe » en les chiant ». On comparera avec l’usage qui, par contre, m’en semble raté dans « le crapaud coasse dans l’étang de sa merde » [p.58].
Chant 11: « Vous soutiendrez, messieurs »
35 vers hexasyllabique de harangue à la clique ennemie basée sur l’anaphore.
Chant 12: « Des jours de violence je ne garderai rien »
24 vers où l’hexasyllabe est mêlé à l’alexandrin pour évoquer le vieux poète qu’il sera devenu sachant, le cœur apaisé, « que chanter le vent n’est pas baisser les armes » mais….. restera l’exil !
Pour l’auteur qu’est donc l’exil qu’il ressent?
Chant 13: « Je te demande un service »
Il s’agit de six quintil ; on observera que le 2ème quintil se termine sur une monosyllabe tandis que le quintil suivant s’ouvre sur un monostique suivi d’un quatrain espacé puisqu’il s’agit d’un « vide ».
Il s’agit d’un texte qui établi la poésie comme unique rempart contre le néant.
Mon cœur, qui considère qu’il s’agit d’une des pièces les plus réussies, préfèrerait sans doute, pour titre de chanson, le dernier vers « avec une guitare et des chanson anciennes ».
Chant 14: « Quand la ronde se ferme »
Six sizain construits 6 quintil+6 monostique
Une seule question: il est question dans ce texte de la question du père, ce qui me renvoi nécessairement à celle de la mère qui est évoquée au chant 2 dans des termes, pour le moins, inhabituels.
Comment surgit ici, pour l’auteur, la question des géniteurs et/ou de la parentalité ?
Qu’est-ce à dire, plus précisément, au plan poétique si l’on resitue cette question par rapport au propos de l’opus ?
Il est question d’une ronde, qui est une danse ou un style d’écriture et la forme d’une note musicale -outre ces usages terminologiques usuels- mais qui ne constitue pas une forme poétique fixe, dès lors laquelle de ces acceptions l’auteur avait-il, ou non, en vue ?
Chant 15: « La plaie est le drapeau »
Il y a les sans dents …et puis les sans souliers et c’est d’eux que le poète veut son chant solidaire.
Encore une pièce magnifique !
Huit quintil mêlant de manière magistrale les différents mètres où l’on voit hexasyllabe s’allonger en décasyllabe, celui-ci se muer en tétrasyllabe augmenté d’un hexasyllabe, l’hexasyllabe prendre la forme d’une tétrasyllabe allongée par une dissyllabe ou encore la pentasyllabe -composée d’une monosyllabe et d’une tétrasyllabe- débouchée sur la décasyllabe pour finir en un rêve enchanteur sur la forme alexandrine ; voici quelques une des petites merveilles que comporte cette très belle pièce.
Si je ne sais ce qu’est une ronde, voici donc mon rondeau avec cette reprise de la première strophe à la dernière !
Chant 16: » Nous libèrerons les théâtres »
Sept quintil, 2 sizain et un huitain distribués: 1 Q+1S+1Q+1S+5Q+1H
On a envie là aussi de demander à l’auteur que devrait-être « la résurrection du sacro-saint répertoire » à laquelle il appelle ?
Chant 17: « Sur toute route »
Voici un long poème qui fait mentir Callimaque et traite du chant et de la musique du poème ; question obsessionnelle de tous les poètes. D’où cette question comment entrevoir cette problématique et quel lien faire à ce sujet avec le vers libre ? Et puis, d’abord, c’est quoi le vers libre ? Manifestement ce n’est pas « un vers n’importe quoi », alors si la poésie ne doit pas aller vers n’importe quoi, c’est quoi le vers libre ? L’auteur a déjà écrit des petits poèmes en prose, un exercice risqué et que tous les grands poètes( Baudelaire, Mallarmé, Apollinaire) après quelques essais ont abandonnés…manifestement ça retouchait trop aux vers, d’où ma question redoublée: c’est quoi le vers libre et c’est quoi le poème en prose ?
Enfin doit on comprendre que le combat sociopolitique est une aporie comme semble le laisser entendre la conclusion du poème ?
Si oui, pourquoi même la vanité de vouloir dire la solidarité ?
Chants 18 et 19
sont absent, on verra qu’ils ont brûlés, soit 10% -mon banquier sera content!- de taxe réglementaire et/ou d’imposition.
Chant 20: « Du feu dans les brindilles »
Outro: « Incendie »
Le plus sublime des longs poèmes du recueil que j’ai qualifié plus haut de « récapitulation logiquement diminuée mais contenant de longues appogiatures écrites en vers bref ».
Ce long texte de conclusion dit qu’il faut un nouvel incendie auquel s’éclairer mais en même temps l’auteur a bien conscience de « mentir » d’un « mensonge lyrique et destructeur » ; la révolte se résout-elle en et par la violence comme l’enseignait Fanon ? L’auteur lui-même n’y croit pas !
Mais observons, alors, le traitement poétique de « Violence » puisque nous avons ici -presque- notre première appoggiature à brefs vers; nous avons donc un alexandrin décomposé en un vers dissyllabique suivi d’une décasyllabe, suivi d’un nouvel alexandrin étant deux hexasyllabes, puis une pentasyllabe disposée en trisyllabe et dissyllabe, retour à l’alexandrin avec deux vers hexasyllabique suivi d’une décasyllabe (tétrasyllabe+hexasyllabe) qui se conclu sur un alexandrin.
Est-ce cela faire violence à la vieille poétique ?
Et c’est ici qu’apparaît ce qui, à mon sens, est la seule vrai question que pose le recueil ; à savoir le poète doit-il tirer vers la musique ou vers la peinture, est-il peintre ou chanteur – pour ne pas dire chantre- ?
Car enfin , l’auteur, ouvrait son œuvre sur la question de la musique et maintenant il nous indique vouloir peindre: « lecteur écoute ce tableau », faut-il en comprendre que le propre de la poésie serait selon l’auteur de faire chanter les images ?
Que la poésie belge contemporaine pêcherait par là -comme Édouard II pêchait par autre part- puisqu’il est écrit: « on ne peut être dans mon pauvre pays, qu’à rédiger des vers pour le plaisir des pies » ; Oiseaux ou pieux ou pieux oiseaux ?
Curieux d’attaquer ainsi la poésie d’un pays et dans un pays qui – à ce que l’on sache-est le seul a avoir déclencher sa révolution à la suite d’un évènement culturel étant en l’occurrence un opéra ; pays donc où le chant à créer la révolte ce que l’auteur, dans sa critique, semble oublier un peu vite or, ne fallait-il pas selon-lui « ne pas oublier » ?
Cet oubli-là, en tout cas, et à moi, me semble fâcheux pour ce texte qui se définit lui-même comme un texte-manifeste -celui de la compagnie théâtrale du Réverbère que l’auteur anime- et pour lequel, cela mis a part, je ne peux m’empêcher d’avoir estime et tendresse.
Ne me reste qu’une question: chantait-on vraiment dans les camps de la mort ? Je me pose la question sans aller jusqu’à dire comme Adorno « qu’écrire un poème après Auschwitz est barbare » puisque je pense tout au contraire, qu’après Auschwitz, aux temps de mes pays-milles collines, en vérité, il ne nous reste que ça.
Vaste question, vous dirait mon général….je voulais dire Toots Thielemans !
Ainsi lu,
et relu,
Lysztéria Valner,
pour vous servir !
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❈❈❈❈❈ Séance du 16 novembre 2019 ❈❈❈❈❈
Lors de notre dernière séance il fut question de Clément Marot et d’Isabelle Bielecki ; voici ce qui vous en sera rapporté par Lysztéria Valner et Martine Rouhart.
Holà, Marot !
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis, Chères Amies,
Mes amis poètes,
J’ai choisi d’intituler mon intervention d’aujourd’hui, Holà Marot !
Car voilà qui, d’un mot, nous fera entrer bien à propos dans le propos dudit Marot qui se rêvait Maro et n’était point un maraud !
Voici donc pour notre seul Marot, trois eaux pourtant fort différentes.
Si je savais écrire, j’aurais donc du écrire holà maraud (AUD), soit « halte là, vagabond, vaurien, etc.. »
Mais, ignorant mes lettres latines, mais non mes adolescences clémentines, j’ai donc écrit Holà Marot(OT) et, en effet, arrêtons-nous un instant, oui, faisons halte chez ce Clément Marot (né en 1496 et mort en 1544), auteur de L’Adolescence Clémentine auquel je faisais référence.
J’allais poursuivre, mais, public impudent et frondeur, j’ai entendu bruisser ta folle rumeur:
– Vous: « Voici que notre tout nouveau président…
– Moi: « …Moi je dis qu’il vaut mieux être tout nouveau que ci-devant ; question de point de vue vous dirait sans doute Monsieur Guillotin, mais, j’en reviens à votre propos…
– Vous: » Notre tout nouveau président est lui aussi malade ; il se dit que c’est Alzheimer -le malheureux, avec tant de gênes arabes dans les veines… c’était prévisible nous avait dit LE Zemmour-, notre malheureux s’emmêle les pinceaux et en oublie son propos, ils nous parlent de trois eaux, il en déverse deux puis s’en va en pirogue..et vogue la galère !
-Moi: Heu… je t’interromps public indocile et moqueur, je te présente Publius Vergilius MARO, dit Virgile pour les intimes, auquel notre Marot se compara par un jeu de mots. !
Mais, puisque vous m’y faites penser, de trois Marot, l’un:
D’abord le père, Jehan Des Maret, dit Jean Marot, qui fit faillite à Caen d’où il s’exila pour Cahors où naquit notre petit Clément dont la langue maternelle est ainsi l’occitan. Ce Jean lui-même poétisa et de la sorte se gagna les faveurs d’Anne de Bretagne femme du ci-devant roi Louis XII qui en fera son secrétaire et poète. Louis XII ayant malheureusement défunté -comme cela nous arrivera à tous, hein…- il devint valet de garde-robe de son fils, François 1er, dont son fils, Clément, avait quasiment même âge (Clément naquit, en effet, deux ans après François, mais eu le bon goût de mourir trois ans avant lui). Jehan, appartenait aux grands rhétoriqueurs et resta célèbre pour avoir calmé la clameur publique qui s’élevait contre (devinez quoi)… l’impôt grâce à un poème qui, des trois ordres et de trois mots, disait au roi: on vous aime !
Ensuite, le fils, Michel Marot, qui lui aussi poétisa et disparut des mémoires tout aussitôt ; de lui on ignore tout si ce n’est -ça ne s’invente pas !- qu’un certain Sieur Couillard du Pavillon crû bon d’éditer ses poésies à la suite des Contredits aux fausses et abusives prophéties de Nostradamus….tout un programme. La Critique jamais avare de quelques mots assassins, commentant sa devise qui était » triste et pensif », crû utile de préciser à son propos: » On ne peut juger d’après ses vers s’il pensait beaucoup ; mais on y voit qu’en effet il était assez triste : il s’y plaint de sa mauvaise fortune, et avoue, en le prouvant, qu’il n’a ni la grâce, ni l’audace, telle que son père avait. C’est ce qu’il est resté de lui dans ses rares biographies après sa mort. »
Fin du chapitre familial donc ! Nous pouvons, à présent, ouvrir le roman de Clément.
Clément MAROT, né en 1494, de « cahors en Quercy », comme il l’a écrit, partit -il émigra, si l’on préfère- à 10 ans pour la France -il est certain que ce n’était pas, alors, la même que celle de Monsieur Zemmour !
Laissons-le (Clément, non Eric) nous faire le récit de son état qu’il nous expose de L’Enfer, texte qu’il a composé lors de son premier enfermement à la prison du châtelet en 1526, mais- j’y reviendrai- pour l’instant, écoutons Maître Clément :
395 A brief parler, c’est Cahors en Quercy,
Que je laissay pour venir querre icy
Mille malheurs: ausquelz ma destinée
M’avoit submis. Car une matinée
N’ayant dix ans en France je fuz mené:
400 Là, où depuis me-suis tant pourmené,
Que j’oubliay ma langue maternelle,
Et grossement apprins la paternelle
Langue Françoyse es grands Courts estimée:
Laquelle en fin quelcque peu s’est limée,
405 Suyvant le Roy Françoys premier du nom,
Dont le sçavoir excede le renom.
C’est le seul bien, que j’ay acquis en France
Depuis vingt ans en labeur, & souffrance.
Fortune m’a entre mille malheurs
410 Donné ce bien des mondaines valeurs.
Que dy je las? O parolle soubdaine!
C’est don de Dieu, non point valeur mondaine:
Rien n’ay acquis des valeurs de ce Monde,
Qu’une maistresse, en qui gist, & abonde
415 Plus de sçavoir parlant, & escripvant,
Qu’en aultre femme en ce Monde vivant.
C’est du franc Lys l’yssue Marguerite,
Grande sur terre, envers le Ciel petite:
C’est la Princesse à l’esprit inspiré,
420 Au cueur esleu, qui de Dieu est tiré
Mieulx (et m’en croys) que le festu de l’Ambre:
Et d’elle suis l’humble Valet de chambre.
C’est mon estat, ô Juge Plutonique:
Le Roy des francs, dont elle est sœur unique,
425 M’a faict ce bien: et quelcque jour viendra,
Que la sœur mesme au Frere me rendra.
Alors, voilà Marot ; voilà l’homme tel que, devant vous et la postérité, il se présente quand il se romance !
Si vous connaissez Marot, sans doute aurez-vous retenu de lui le plaisant poète de cour dont Boileau enseignait qu’il fallait suivre en tout l’élégant badinage.
Et si vous pensez ne point le connaître, vous le connaissez pourtant, car, tout vient à point (à) qui sait attendre, ça vous vient de lui, enfin d’une de ses chansons pour être précis ; la voici, cette Chanson IV (et non Élégie XIV comme l’enseigne Messire Google et ses internautes):
Jouyssance vous donneray,
Mon Amy, et si meneray
A bonne fin vostre esperance.
Vivante ne vous laisseray,
Encores, quand morte seray,
L’esprit en aura souvenance.
Si pour moy avez du soucy,
Pour vous n’en ay pas moins aussi,
Amour le vous doibt faire entendre.
Mais s’il vous grieve d’estre ainsi,
Appaisez vostre cueur transi:
Tout vient à point, qui peult attendre.
Le plaisant Marot, le doux Marot grandit donc dans l’ambiance des cours royales et princières au côté de ses grands rhétoriqueurs que j’ai déjà évoqué. Son père, bien sûr, mais encore, et je dirais surtout, puisque souvent il le cite, DE BELGES !
Ah ! Mais je vous vois sceptiques mes amis, le roi des Belges vous avez bien une idée, mais… de Belges, sincèrement vous ne voyez pas ?
Haro sur vous marauds !
Jehan ou Jean Lemaire dit De Belges sobriquet qu’il se donna en référence à Belgius, le mythique roi gaulois et notre ancêtre éponyme à nous, LES BELGES!
Ce Jean Lemaire, qui était belge donc, pour qu’aucun belge n’en oublie, est le premier a avoir identifié et particularisé le parler wallon qu’il orthographie vuallon… n’est-il pas mignon ?
Donc je te résume: si t’es belge tu connais les wallons et si tu connais le wallon tu connais De Belges. CQFD
Ce De Belges était un de ces grands rhétoriqueurs auprès duquel notre Marot fit son apprentissage et épanouie la fleur de son art en son jeune âge (comparez ainsi le Temple de Cupidon de l’élève et le Temple de Vénus du maitre).
Ce que l’on nommait alors l’art de la seconde rhétorique désignait en fait la poétique or, il faut savoir que dès le milieu du XVème siècle avaient fleuri les traités qui commençaient à codifier la rhétorique vernaculaire, à savoir la poétique française et s’opposait, ainsi, à la rhétorique latine.
Et de Belges semble avoir été un maître en la matière -d’où vient sans doute cette coutume qui veut que tout académicien français disent à propos de la grammaire de sa langue: « Voyez les belges ! »
Mais un exemple vaut mieux que mille mots, voici un texte de notre Marot à la manière des grands rhétoriqueurs ; il est connu sous le nom de petit épitre au roi :
En m’ébattant je fais rondeaux en rime
Et en rimant bien souvent je m’enrime
Bref c’est pitié d’entre nous rimailleurs
Car vous trouvez assez de rime ailleurs
Et quand vous plaît mieux que moi rimassez
Des biens avez et de la rime assez,
Mais moi, à tout ma rime et ma rimaille
Je ne soutiens, (dont je suis marri) maille.
Or ce, me dit un jour quelque rimard
« Viens ça Marot, trouves-tu en rime art
Qui serve aux gens, toi qui a rimassé?
_Oui vraiment, réponds-je, Henri Massé,
Car vois-tu bien la personne rimante
Qui au jardin de son sens la rime ente,
Si elle n’a de biens en rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime oyant.
Mon pauvre corps ne serait nourrit mois
Ni demi jour car la moindre rimette
C’est le plaisir où faut que mon ris mette.
Si vous supplie qu’à ce jeune rimeur
Fassiez avoir un jour par sa rime heur
Afin qu’on dit en prose ou en rimant :
« Ce rimailleur qui s’allait en rimant
Tant rimassa, rima, et rimona,
Qu’il a connu quel bien par rime on a.
Ah ! ce doux Marot était bien un Maître es mots !
Jugez-en plutôt:
– À un poète ignorant vous ferez un mauvais poème enseigne le rondeau VII (7) ;
– À des demoiselles paresseuses d’écrire vous adresserez un poème approximatif (usage malheureux du vocatif « Bonjour ») selon le rondeau XLI (41) et contra le rondeau XXV (25) où le vocatif d’entame du deuxième vers « Fausse fortune »-en principe prohibé- est transformé en COD à la deuxième strophe (« et qui morde à loisir fausse fortune) -ce qui le rend licite- ;
– Un ennemi ignorant ? une ballade suffira…surtout si elle est sans refrain or, sans refrain, ce n’est donc pas une ballade ! (voyez la Ballade sans refrain responsive à l’épitre de celui qui blâma Marot ) ;
– Aux enfants vous vous adresserez en phrase de trois ou cinq syllabes, car nous les enfants, en général, on n’aime pas beaucoup dire: CURCUBITACÉ ! Lisez l’épigramme CIX (109 )…qui n’a rien à voir avec le concombre, mais concerne l’accord du participe passé ! ;
– Voyez encore et je terminerai cette exemplification par là, La ballade XI (11) avec ces étonnantes rimes dites « rauques » (aC; eC; iC; oC, uC) dont l’usage était, alors, réservé aux diables, aux fous et aux licencieux et que le poète transmutent en chant noélique, transformant ainsi ces sons d’ordinaire diabolique, psychotique ou lubrique en une psalmodie sacrée; le poète, en parfait alchimiste, transmuant -longtemps avant Baudelaire donc- la boue en or (C. Baudelaire, Ébauche d’un épilogue à la seconde édition des Fleurs du mal).
Or, cet art de Marot -qui voit dans l’OuLiPo son plus récent avatar- veut que je te parle à présent, public rieur, et de l’ars, et du lard et des lares ; du reste je vous fais grâces de me rendre mes arrhes !
Voyons donc cet 14ème Ballade, couramment appelée Contre celle qui fut s’Amye, qui nous conte l’affaire du lard !
Ung jour rescripviz à m’Amye
Son inconstance seulement,
Mais elle ne fut endormie
A me le rendre chauldement:
Car des l’heure tint parlement,
A je ne sçay quel Papelard,
Et luy a dict tout bellement,
Prenez le, il a mangé le Lard.
Lors six Pendars ne faillent mye
A me surprendre finement,
Et de jour, pour plus d’infamie,
Feirent mon emprisonnement.
Ilz vindrent à mon logement:
Lors se va dire ung gros Paillart,
Par la Morbieu voilà Clement,
Prenez le, il a mangé le Lard.
Or est ma cruelle Ennemye
Vangée bien amerement,
Revange n’en veulx, ne demye:
Mais quand je pense voirement,
Ell’a de l’engin largement
D’inventer la science, et l’art
De crier sur moy haultement,
Prenez le, il a mangé le Lard.
Envoy
Prince qui n’eust dit plainement
La trop grand chaleur, dont elle art,
Jamais n’eust dit aucunement,
Prenez le, il a mangé le Lard.
Car notre homme que nous avions laissé homme de la cour du roi François et dont on ne sait s’il combattu avec lui à Pavie -seul Rabutin, de la Sévigné lointain cousin, 150 années plus tard en témoigne-, s’en revint à Paris et voici notre Marot réputé Huguenot !
Il aurait donc mangé du lard pendant carême ce qui pour l’église catholique et romaine n’était point pêché véniel ! Or, le roi, son doux protecteur n’est pas là, ayant été fait prisonnier en Italie et étant transféré en Espagne ; notre ami se retrouve ainsi à la prison du Châtelet pour un crime qu’il nie avoir commis. Son tortionnaire, zélé délateur, s’appelle Nicolas Bouchart et est docteur en Sorbonne, son sauveur est un ami, l’évêque de Chartres, Monseigneur Louis Guimart qui le fait transférer chez lui, à la maison, dans l’attente du retour du souverain. Celui-ci rentré, Clément est libéré !
Deux faits sont ici à noter:
Le premier, il le dit si bellement que je n’ose vous le dire (oui, oh ! je m’inspire un peu: « je l’aime tant que je n’ose l’aimer »):
Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
je pris alliance nouvelle
A la plus gaie demoiselle
Qui soit d’ici en Italie.
D’honnêteté elle est saisie
et crois selon ma fantaisie
Qu’il n’en est guère de plus belle
Dedans Paris.
Je ne vous la nommerai mie
Sinon que c’est ma grande amie,
Car l’alliance se fit telle,
par un doux baiser, que j’eus d’elle,
sans penser aucune infamie
Dedans Paris
pour vous servir !
Notre bonhomme est donc amoureux ; il a délaissé, dit la rumeur public, Marguerite d’Angoulême, duchesse d’Alençon, sœur de François 1er, pour Anne…d’Alençon à qui s’adresse cette ballade qui rappelle tant celles de Charles d’Orléans ; avec Villon, l’un de ses poètes préférés – à moi aussi, du reste !-
Et -et c’est mon second point- comme Villon, l’homme est querelleur. C’est ici qu’intervient l’affaire dite de la « rescousse » dont l’auteur nous parle, mais sans nous livrer le fond de l’affaire que, vraisemblablement, nous ne connaîtrons jamais, du fait de sa volonté. De quoi s’était-il s’agit ?
À nouveau, Clément mange le lard, mais, cette fois, au sens ancien de commettre un forfait.
Voler, par exemple (ce qui peut arriver à ceux qui n’ont sous en poche, comme ce fut le cas du valet de notre poète qui lui déroba quelques lares dont celui-ci obtint, remboursement du roi, par son plaisant ars) c’est aussi manger le lard !
Un soir de 1527, cela fait donc moins d’un an qu’il est sorti de prison, il voit un groupe que l’on mène au Châtelet -est-ce pour raison politique ou religieuse, ou pour de triviales affaires de police ? On ne le sait-, il houspille et bouscule la maréchaussée, le(s) prisonnier(s) s’évade(nt) et, comme de juste, notre héros, ce Marot, se retrouve à nouveau embastillé. Il conte sa mésaventure au roi qui en rit et le fait libéré.
Et les années, douces et heureuses passent ainsi. Il se marie, a deux enfants, édite -il est le premier à en faire une édition critique- Villon et son Adolescence Clémentine où s’y bien il se met en scène puis, toujours à la demande du roi traduit des Psaumes qui, chantés par les évangélistes et les réformés de tout poil qui se rassemblent au Prés-aux-clercs et aux Faubourg Saint-Germain, irritent le clergé. À partir de 1520 on grille quand même quelques hérétiques ce qui, si ce n’est pas très chrétien n’en est pas moins catholique !
En 1534 le parti protestant va aller trop loin ; c’est la célèbre « affaire des placards », ces affichettes blasphématoires que l’on a été coller sur la porte de la chambre du roi à Amboise.
Est-ce la sœur du roi, sa protectrice, Marguerite de Navarre, grande intellectuelle, grande poétesse et acquise aux idées nouvelles qui lui souffle l’idée de s’en aller ? Quoi qu’il en soit, il se réfugie en Italie chez la duchesse de Ferrare, Renée de France, fille de Louis XII, membre de la famille qui -fait rare- a l’avantage d’être protestante.
Voltaire, toujours perfide, commenta dit-on, de la sorte: » Clément Marot a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages !
Ah ! Voltaire, divin plaisantin, que pensez-vous du Blason du Beau Tétin dont je vous livre un extrait:
Tétin refaict, plus balanc qu’un œuf,
Tétin de satin blanc tout neuf,
Tétin qui fait honte à la rose
Tétin plus beau que nulle chose ;
Tétin dur, non pas tétin, voyre,
Mais petite boule d’Ivoire,
Au milieu duquel est assises
Une fraize ou une cerise, (…)
Pas mauvais ce Tétin plus beau que Laid -extrait-:
Tétin qui n’a rien que la peau,
Tétin flac, tétin de drapeau
Grand’ Tétine, longue tétasse,
Tétin, dois-je dire bezasse ? (…)
Alors oubliez Voltaire -j’avoue, par ailleurs, avoir avec l’homme quelques difficultés-, Marot revint d’Italie avec le Blason (poème d’octosyllabe à rimes plates AABBCCDD célébrant un être, un objet ou une idée en général et, en particulier le corps de la femme) et surtout avec le Sonnet qu’il a trouvé dans Pétrarque, qu’il adapte au Français et qui, avec lui, n’est pas encore d’Alexandrin ( ça, ce sera l’apport de Du Bellay et ça ne se généralisera qu’à partir de 1550).
Je vous propose de laisser là la querelle des anciens portant sur le point de savoir qui fut le premier, en France, à y avoir introduit le sonnet italien. Lui ? Melin de Saint-Gelais ? Un autre ? Qu’importe !
Car avant que Malherbe vint nous les sonner, il y a avait déjà le Sonnet !
On dit ainsi le sonnet marotique (tercet de forme CCD/EED) ou, mais abusivement, italien (alors que le sonnet pétrarquéen a, en réalité, un tercet de forme CDE CDE/ CDC DCD/ CDE DCE) . Il s’oppose au sonnet français, dit » à la Peletier » du nom de son inventeur, dont le tercet est de forme CCD/EDE (secrètement je dis: Hourra Peletier !).
Mais, j’en reviens à mon histoire.
Doux Marot, Facteur (c’est-à-dire « Poète » pour ceux qui auraient oublié) de génie, défenseur -avant Du Bellay- de langue Françoise, vous devez à la suite de quelques embrouilles quitter Ferrare et les dames d’Italie; vous rentrez alors à Paris non sans avoir fait contrition du côté de Lyon et, en bon catholique, prononcé solennel abjuration !
François de Sagon (un poète catholique sans importance que tout le monde a oublié, moi y compris), ce sagouin sans talent avec qui jadis vous aviez eu maille à partir, n’en continue pas moins ces attaques en vous parant du titre de Rat pelé, car vous vous étiez dit le Rappelé; et c’est en l’affublant du doux nom de Frippelippe, votre valet, que vous lui répondez de tout votre mépris.
Mais nous sommes presque à la fin de votre vie et moi de mon histoire. Des psaumes vous en avez traduit -une cinquantaine au total qui formeront la base du psautier de Genève- et la Sorbonne les fait interdire et le roi, pour faire bonne mesure, fait cuire quelques luthériens… Vous jugez plus utile de partir en exil. Ray Charles aussi connaîtra la même critique facile avec « i got a woman », paroles lestes sur des airs saints de spirituals; vous c’était d’avoir mis en musique profane des mots saints qu’il vous sera reproché. Comment vous dire, c’était pourtant là chose courante (en témoigne précisément les Chants de Noël), mais….comment vous expliquer ? Le raidissement identitaire, sans doute, comme d’autres font des crises de goutte…je ne pourrais aller plus loin ni vous dire mieux….. Demandez à Eric !
Ce sera donc chez Calvin, à Genève, que vous vous en irez, mais, chez les réformés êtes-vous plus en odeur de sainteté ?
Poète, poète de cour au demeurant et poète de cour dissolue enfin, ne vous tisse pas bonne réputation; votre vie serait-elle en danger ? Quoi qu’il en soit vous quittez Genève et le parti calviniste pour rejoindre les armées française à Turin…. Vous n’en aurez pas le temps, c’est à Turin que justement la mort vous surprend !
Mais, Ami(s), il me faut à présent conclure alors je vous laisse le dernier mot, écrit De Soi-même:
Plus ne suis ce que j’ai été,
Et ne le saurais jamais être.
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t’ai servi sur tous les Dieux.
Ah si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux
Lysztéria Valner,pour vous servir !
…………….ooooooooooo…………….
Le stichou et la fleur, Isabelle Bielecki, Les Chants de Jane n°21 (Grenier Jane Tony)-
Isabelle a porté durant toute sa jeunesse le drame de ses parents. Ce sont les mots qui ont réussi à la tirer de l’amnésie, ce sont toujours eux qui continuent à arracher, l’un après l’autre, les barreaux de la prison du passé, et qui la font désormais avancer. L’on connaît ses romans/autofiction qui relatent de larges pans de ces années de chrysanthèmes, et beaucoup de ses poèmes témoignent de ses bouleversements.
Isabelle est une tourmentée. Toujours inquiète, toujours sincère, elle est partagée entre élans et retenues et a même parfois du mal à se protéger d’elle-même… Mais il existe plusieurs versions de soi, capables de se répartir le temps…des mots. Ainsi, ce sont encore les mots, mais cette fois plus aériens, presque désinvoltes, qui la libèrent et lui font le cadeau du rêve et de tout ce qui allège l’existence.
Bref, ces mots-là, ceux de ses « stichous », lui procurent en quelque sorte la bulle de légèreté nécessaire à la vie. Isabelle a déjà publié plusieurs recueils de ces poèmes inventés par elle. Elle anime depuis des années des ateliers d’écriture qui rencontrent du succès, même auprès des plus jeunes. Le stichou, on le sait bien maintenant, se compose de cinq vers : les deux premiers décrivent une activité/une observation de la vie quotidienne, le troisième (et se dire/et lui dire) forme une transition, piste d’envol pour les deux derniers qui donnent au poème une dimension imaginaire ou spirituelle, lancent une interrogation ou une pensée.
Les Chants de Jane n°21 nous offre un florilège de quarante de ces petits poèmes,
tantôt teintés d’humour
« Ne plus savoir
Où donner de la tête au bureau
Et se dire :
Je dévisse à fond
Et je rentre ma tête sous le bras »
ou d’une irrépressible envie de légèreté
« Une nuit d’été
Regarder la pleine lune
Et lui dire :
Nous sommes en vacances
Tu pourrais au moins sourire ! »
tantôt d’une douceur, que s’octroie çà et là Isabelle
« Se chauffer les mains
A un bol de thé
Et se dire :
La tendresse de l’aube
Pour tous les âges »
atteignant parfois un autre degré de profondeur…
« Pendant des années
Tenir son journal
Et lui dire :
Dans notre double vie
Lequel est l’espion de l’autre ? »
Ne croyez pas que les stichous soient nécessairement joyeux, mais ils sont toujours ludiques et provoquent le sourire. Ils font du bien à l’âme et surtout, on l’espère, à celle d’Isabelle.
Martine Rouhart
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