Maudire …
Maudire
Un ciel gris
Et lui dire :
Voleur ! Tu étales mon spleen
À la face du monde
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Observer de sa fenêtre
Le brouillard se lever
Et se dire :
Diva de l’ombre
Il rêve d’allumer le soleil
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S’arrêter à mi-parcours
dans l’escalier
et lui dire :
Tu craques et tu gémis
De n’être plus un arbre dans le vent
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S’inscrire
A un cours d’aquarelle
Et se dire :
Les jours de pluie
L’artiste œuvre derrière ma vitre
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Sur la digue
Marcher contre le vent
Et lui dire :
Arrache mes plumes noires
Jusqu’au duvet blanc de mon âme
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Stichous
Donner un coup de pied
Dans une canette vide
Et se dire :
Moi aussi l’on m’a vidée
De mes plus belles ivresses
Découvrir
La blanche lune du matin
Et se dire :
Elle m’écrit à la craie
Mon prochain poème illisible d’ici
S’arrêter devant une vigne vierge
Rouge sang
Et lui dire :
Est-ce le soleil ou le temps
Qui t’a cognée si fort ?
Chercher une solution
À sa consommation de chocolats
Et se dire :
M’envoyer un ultimatum
Pour un combat sans merci ?
Dans la rue
Buter contre un pavé déchaussé
Et se dire :
Inutile de faire des kilomètres
Pour plonger dans l’inconnu
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Remarquer un changement …
Remarquer un changement
Dans la couleur des arbres
Et se dire :
Leur miroir est le ciel
Il fait grise mine
*
Ramasser
Les dernières pommes
Et se dire :
En dépit de tous les livres sacrés
Le ver est toujours dans le fruit
*
Rêver
D’un feu de bois
Et se dire :
Il brûlera la forêt
De mes tourments inutiles
*
Avec le retour du froid x
Attraper un rhume
Et se dire:
Pèlerinage annuel
des mouchoirs en papier
*
Retrouver dans une armoire
Un album de photos de famille
Et se dire :
Que suis-je devenue
Pour narguer leur sommeil ?
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En voiture …
En voiture
Compter les nuages
Et leur dire :
Patchwork
Pour mon ciel de lit
Hésiter devant
Un feu rouge
Et se dire :
Combien d’interdits à enfreindre
Pour se croire libre ?
Sur la route des vacances
Croiser des éoliennes
Et se dire :
La nuit elles broient du noir
De leurs longues dents blanches
Par mauvais temps
Marcher le long de la mer
Et lui dire :
Avec tout ce sable dans les yeux
Moi aussi j’en pleurerais
Ramasser dans l’herbe
Une plume
Et se dire :
A renaître, choisirais-je
Une vie d’oiseau ou de chat ?
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Stichous en bouquet
Ces jours-ci
Voir tout en jaune
Et se dire :
Enfant j’effeuillais les marguerites jusqu’au cœur
Car j’y croyais
Surveiller de près
Les boutons des cerisiers du Japon
Et se dire:
Mariage en rose entre le vent
Et la jeune fille en fleur qui rêve en moi
Se perdre dans un hôtel
En cherchant sa chambre
Et se dire:
Ce couloir m’est comme une tige
Chaque porte cache une fleur en bouton ou fanée
Ces jours-ci
Souffrir de l’isolement
Et se dire :
Heureusement il y a les tulipes
Fidèles… comme les hirondelles
Se promener en forêt
Parmi les jacinthes et les anémones
Et se dire :
Cette nuit le ciel et la lune
Ont secoué leurs pinceaux
Ces jours-ci
Cueillir la première pivoine
Et lui dire :
Sur un kimono ou dans mon vase
Tu es l’égérie de toutes les opulentes
Ces jours-ci
Photographier des iris jaunes
Et se dire :
Le soleil s’est amouraché
D’un marécage
Isabelle Bielecki
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L’eau
Regarde l’eau couler en toi
Non pas le sang les larmes
La bile la morve ou l’urine
Mais l’eau dont tu es fait
À quatre-vingt pourcent
Celle qui court rebondit arrache
Entraîne tout sur son passage
L’eau qui charrie ta vie
Car tu es torrent tu es marée
Fluide liquide en mouvement
Qui court en boucle qui joue
Dans chaque parcelle sous ta peau
Eau jusque dans ton cerveau
Naufragé de tes pensées
Laisse ton eau y pénétrer
Emporter ta douleur d’exister
Vois tes déchirures flottent
Se brisent dans des tourbillons
Tu ne sais sur quels cailloux
Mais qu’importe laisse l’eau passer
Suivre sa pente regarde-la rouler
Ne cherche pas à canaliser
Tous les cours d’eau de ton histoire
Toutes les flaques réunies
Elle est la joyeuse farandole
Qui traverse de part en part
Tes vallons et ta plaine
Tes collines et tes monts
Ils te regardent dévaler
Car tu cours et rebondis
Jusqu’au bord de l’infini
Tout comme l’eau de la rivière
Sous ta fenêtre vive argentée
Brillante et grondante
Filant joyeuse sous les ponts
Tout comme l’eau sur ta tête
Hier le jour d’avant
Ricochant sur tes vêtements
Bue sous tes pieds par la terre
Béante troublante de désir
Tout comme la mer qui attend
Etale jusqu’à l’horizon
Et déjà en toi
Isabelle Bielecki
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Elle est là …
Elle est là …
Pluie émaillée de neige
Cousue de duvet blanc
Mouillée à la plume fine
Hachurée de sucre fondant
Marshmallows pour les petits
Leur bouche ouverte dans la cour
Étrennes de janvier pour les mendiants
Linceul des sans-abris
Treillis de combat des pies
Contre les corneilles va-t’en guerre
Édredon maigrichon de mon enfance
Rangé dans un tiroir de l’oubli
Voile de mariée transie
À la lisière du petit bois tendre
Paupière du ciel sur l’étang
Au regard hérissé de ronces
Pelisse effilochée de l’hiver
Achetée en soldes aux puces
Poussière de nuages endimanchés
Serrés à l’office des matines
Et moi devant ma page blanche
Sous une chiche lampe de néon
J’attends l’inspiration
En regardant tomber la neige
Isabelle Bielecki
Janvier 2021
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S’arrêter…..
S’arrêter
Devant de hauts peupliers
Et leur dire :
Je vous y prends
À chatouiller le ventre des nuages
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S’abriter…..
S’abriter de la pluie
Sous un cerisier en fleurs
Et se dire :
Dragées roses
Pour printemps nouveau-né
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Je traîne mes épines…..
Je traîne mes épines
Ces longues rapières
Pour me faire peur
En croisant quelque miroir
Ou une flaque d’eau
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Une goutte de sang….
Une goutte de sang
Perle à chaque épine
Née non de la blessure
D’un animal ou d’un quidam
Elle suinte de l’intérieur
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