Dominique Aguessy

Biographie

Poésies

Tout moment important
cache une histoire d’amour
fragile ou éphémère
peu importe le temps
 
Que l’on soit d’ici ou d’ailleurs
les poètes en témoignent
modeste pourtant invincible
même si la flamme vacille
 
Lumière à l’horizon
que n’assombrissent les tempêtes
l’assaut des revanches
ou les médisances des faibles
 
Elle confère pouvoir aux mots
intensité à la parole donnée
énergie au sursaut de l’aube
assurance aux pas en chemin
 
Chacun peut écrire la sienne
elle sera toujours l’unique
la source que ne tarit l’adversité
un instant d’éternité

Juin 2022

L’aube à peine
Dissipe les angoisses de la nuit
Leurs fantômes empruntent le pont
 
Au-dessous le vide
Les roulis d’une cascade
Gouttes irisées de lumière
 
Le vert du feuillage
Voudrait nous rassurer
La saison se dit précoce
 
Un temps doucereux
Égare nos sensations
Brouille nos repères
 
Les murmures du vent
Se succèdent en rangs serrés
Tels mangeurs affamés
 
Et pourtant
Au profond de soi
Se creuse la vacuité

Trop de mots
Obturent l’essence
Du dire
 
Trop de clichés
Accolés de prétextes
Nous détournent de nos choix
 
Ton visage
Comme un paysage
Tes yeux reflets d’océan
 
Avant la rencontre
Avec l’ange au couteau
L’entaille au croisement
 
De nos âmes

Chacun peut lire en Rimbaud
Une part de sa propre histoire
Lovée dans le labyrinthe
De multiples séquences
 
Tant de commencements
S’évaporent en brumes
Caprices de tourbillons
Contradictions à l’état sauvage
 
Seul en scène ou rêves
Cauchemars ou délires
Acharnement du hasard
À vouloir marquer ses traces
 
Dans la mer de compassion
Se débattent les noyés
Tandis que les peurs taraudent
L’être côtoyant l’abîme

Seule sur son balcon
La lune pour témoin
Au loin le vacarme
 
Telle une marée
Les mots s’emportent
De colère bouillonnent
 
Le vent retombe
Les nuages moutonnent
Goguenarde la lune
 
La passion nous emporte
Peu importe l’époque
Où elle s’installe

Dominique Aguessy

Libération du camp d’Auschwitz
Triste commémoration
Plus jamais l’horreur
 
Où se terre la mémoire
Quand surviennent encore
Des massacres sous nos yeux éteints
 
D’un sentiment d’impuissance
Nos cœurs s’embrasent
Enlisés de désespoir
 
Passion pour la justice
Venue du fond des âges
Ne pas en laisser tarir la source

Dominique Aguessy

Un billet pour un aller simple
ou pas de billet du tout
la mer pour horizon
la noyade pour destination
 
Non-retour à l’ordre du jour
vie cruelle amère liberté
ne cessent de côtoyer
la mort par imprudence
 
Fantasmes mués
en fantômes assassins

Dominique Aguessy

La blessure en meurtrissant le corps
fendait l’âme en deux
l’avant et l’après-guerre
désormais inconciliables
 
L’avant agissait
pour plaire aux inconnus
l’après rugissait
pour masquer la détresse
 
Susciter chez l’autre
le remords pour une faute
non commise
surprenante aliénation
 
Tant de journées
trop longues d’endurance
trop courtes pour l’éveil
absentes de mesure
 
La douleur est totalitaire
ne lui faites pas confiance
elle n’annonce rien de favorable
sinon une prison à ciel ouvert

Dominique Aguessy

Des jours
sans compassion
trainent leurs divagations
d’ombres
 
les mots redoutent
le sens attribué
à leur notoriété
 
le manque creuse
un sillon de braises
séparant les sources
de simulacres
 
sur la lagune flotte
des débris d’oublis
rebuts épars
après l’orage
 
tu lèves l’ancre
pour une destination
inconnue

Dominique Aguessy

De l’île Callot
en Bretagne
Lucas nous ramène
un bras de mer
 
du gris cendré
au blanc coquille d’œuf
une amorce de bleu
se transforme en dégradé de rose
 
des coquillages
disent l’océan
ses remous ses nids liquides
réservent surprises
plaisirs de l’été

Dominique Aguessy

À force de peupler
les nuits de fantômes
à force d’en creuser les pensées
naissent des mots polychromes
 
Quand tourne la roue
poète n’est pas un métier
cependant tu en fourbi altier
un baiser effleurant de l’aimée la joue
 
L’impensé surgit itinérant
suivant les métamorphoses
délaissant du traditionnel les gloses
l’ailleurs accusé de néant
 
Côtoyer la beauté
réveille révèle la faille
dans l’œil un fétu de paille
au regard de la nouveauté

Serait-ce quête
à l’aune de balbutiements
seraient-ce jalons
indicateurs d’itinéraires
 
Lumière tamisée
au blanc des tuniques
sobres et somptueuses
dans leurs formes épurées
 
Le veilleur secoue les bornes
d’un rêve éveillé
reprend pied sous le dais de l’aube
prémices au lever du jour

17 avril 2021

De quels mensonges
Sommes-nous prisonniers
Asservis d’aveu
Au pouvoir des images
 
Chemin d’errance
Taire des chagrins le cri
Les jours s’essoufflent
De tant de commencements
 
Nous n’avons pas su
Que la vie était fragile
Temps et contretemps
Jetés à peine perdue
 
Moments de doute
Entre peurs et regrets
Toute lumière
Retourne à sa source

Débris de passion
En marge de nos chemins
De convenance
Vacants éclairs et flammes
 
Si la rencontre
Se réduit à l’ornement
De vantardise
Quel sens prendra notre vie
 
Le vide offre
Au premier pas du matin
Demeure au chant
En attente d’un sursaut

La poésie est un risque
À prendre au pied de la lettre
Sans en faire industrie
 
Sortir de la toile d’araignée
De l’amnésie
Et sceller un parti pris
 
C’est d’abord du regard
Que nous appréhendons
Le monde
 
Où sont les prédateurs
Dissimulés
Sous la bienfaisance
 
Les masques protègent
Mais dénoncent aussi
L’incurie sans modestie
 
Femmes de l’ombre
Ou ombres de femmes
Poursuivent le rêve d’un autre

Vous ne l’aviez pas dit
Le silence le murmurait
Solo ou accompagné
 
Les rencontres un don de la vie
Un appel de l’univers
La main probable du destin
 
Vivre c’est perdre
Et dépasser la perte
De la plainte à l’éloge

Tu n’as pas prononcé
Les mots que j’attendais
La patience usée
L’amer prend le relai
 
Douce est la nuit
À la peine qu’elle séduit
Douce est la peine
Au murmure de minuit

Pactise avec le vent
Il emporte au loin tes soucis
Sur la berge muette
Passent des revenants
 
Plume au plus près du risque
Impatiente de liberté
Prise au piège du tourment
Des rets rouges de l’indicible
 
De ce jour retient la pause
Le champ dévasté des certitudes
En ultime osmose
Avec la lenteur de l’éveil

Peu importe comment
tombent les étiquettes
copie non conforme
la folie du monde
des modèles figés
recettes appliquées
 
est-il possible de s’affranchir
du mépris des commentaires
passé le rôle
d’élément exotique
 
je m’étonne
je m’étouffe
un point d’exclamation
me transperce la gorge
le cri aux abois
déchire la langue de bois
 
tant de doctes experts
prétendent imposer leur point de vue
nul besoin d’écouter l’autre
il suffit de parler
à sa place
confondre liberté
et lâcher sa haine aux chiens
 
à chacun sa quête
en défense du droit
d’exister à part égale
 
trop de douleurs
assaillent le quotidien
mais des contraintes du destin
nous ferons un chemin de lumière

Écrire comme on vit
à petits pas
avec les peut-être
et les presque pas
les presque rien
de Jankélévitch
les incitations de Spinoza
à la recherche du bonheur
le trop plein déborde
à chaque instant
 
des mots suspendus
attendent l’atterrissages
l’ouverture d’une fenêtre
par où trouver l’air
et la mémoire des jours abandonnés

Un couple de geais huppés
à l’orée de la prairie
un dimanche à la campagne
surpris dans leur promenade
propriétaires du paysage
guettant les frémissements de l’ombre
nous nous regardons
silencieux saisis d’admiration
pour ce présent inattendu
leur liberté nous émeut
quand ils prennent leur envol
insensibles à notre regard
aussi loin que se porte la vue
ils dessinent une aquarelle
qu’ils effacent à mesure

– Je m’ennuie dit l’enfant
– Comme il est bon de s’ennuyer dit la mère
S’ennuyer c’est prendre le temps
de s’inventer un monde
qui n’existe pas encore
deviendra peut-être réel
à force d’en rêver
 
la peur de l’ennui conduit
à tenter de remplir le temps
comme un quelconque récipient
 
le temps échappe
à toutes les prisons
s’écoule et flamboie
devant nos yeux ébahis
impuissants à le retenir
ou même à le contrôler
 
des miracles l’habitent
surgissent et disparaissent
comme souffle de vent
le doute en lui fertile
apporte saveur ardeur ou fadeur
faisant naître le besoin
de s’aventurer vers l’inconnu
 
maître à penser de l’écriture
tyrannique parfois
mauvais joueur jamais perdant
séduisant pourtant
en son pouvoir de subversion

Connais-tu l’autre couleur
de ton visage
l’autre part de toi prisonnière
des convenances
 
l’exigence de survie
impose de sortir du déni
pour accéder aux multiples sources
de la liberté
 
des voix exhumées de l’oubli
déambulent le long des rues fantômes
de villes aux noms trois fois piégés
 
délaissant l’arrogance
de détenteurs de vérités
le poète affronte l’incertitude
le doute au cœur du désir
prenant appui sur le manque
pour conquérir les territoires du rêve

Horizon cohabitation
avec la peur
nuages assombris des tempêtes
tout ce vacarme au-dessus de nos têtes
en même temps que tombe la nuit en plein jour
 
la hantise d’enterrer l’amour sous les décombres
d’illusions de consolation
accompagne toute pause
le corps inquiet du retour des rapaces
 
l’exil est une terre couverte de cendres
après l’incendie
et néanmoins j’en fais le limon
de mes chants
attendant l’heure assoiffée
de réparer l’horizon