Chantal Demeter

Biographie

QUI SUIS-JE ?
J’écris depuis mes 12 ans – née le 26-9-45- Ancienne du Grenier aux Chansons, « Princesse du Grenier » à 18 ans, après quelques passages… J’arrête, prise par les études. J’écris toujours, sans en parler, vide le tiroir quand il est plein !! Une carrière de professeur de français. Il y a quelques années, je rejoins le cercle de poésie de Kraainem, revue mensuelle « Repères ».
Un responsable me pousse à participer à des concours, à conserver les textes.
Je n’y crois pas mais
– Grand prix de Poésie Georges Riguet 2016 » au Creusot, pour « Cocktail », auto édité; séance officielle chaleureuse. La cinquantaine de recueils prévus vendus ou offerts.
Nouveau recueil « La part du vent », 4 tapuscrits : « Histoire d’eau », « Grand rue »,  « A dormir debout », »La cage aux Poèmes », quelques exemplaires seulement.
– Les tapuscrits me valent d’être invitée à Paris, à la Société des Poètes Français, qui m’attribue un diplôme d’honneur (2016).
En 2017, je remporte le premier prix aux Rosati d’Artois, à Arras, et deux roses d’or …

Poésies

S’étiole toute fleur,
S’enchaînent les semaines,
De bonheur et de peine.
On naît, on vit, on meurt…
 
Du printemps à l’hiver
Se conjuguent les heures
Et les automnes pleurent
Les étés d’outremer.
 
L’âge est un prédateur,
Le temps fait table rase.
Tout d’abord il t’embrase
Et puis te prend le cœur
 
Pour le donner ailleurs.
Il te vide la poche

A double ou triple croche.
Le temps est franc- tireur.
 
Il décompte au rabais
De septaine en septaine,
Guinde mât de misaine
Et se moque d ’ »après. »
 
Ah ! Ne pas y penser.
Ne parais pas ton âge ?
Comme le dit l’adage,
« Être ou avoir été »
 
Tu n’as pas vu venir ?
Toujours la même histoire.

C’est pas la mer à boire,
Un jour il faut partir,

 

Aux dieux payer son dû,
Laisser la place à d’autres…

Larmes et patenôtres

Et l’on n’en parle plus.

C’étaient deux jumeaux de l’Ardèche,
Deux gentils gars de mon pays.
Ils étaient nés en tête-bêche,
La semaine des confettis.
 
Leur mère était équilibriste
Dans un triste cirque forain.
Le père était clarinettiste,
Dadaïste et homme de main.
 
S’ils avaient été timbres –poste,
Naître ainsi bébés inversés,
La richesse eut été riposte,
Arc-en-ciel cousu de deniers.
 
La mère leur apprit à vivre
A tour de rôle main ou pied
On n’écrit pas dans le grand livre
Comment, différents, exister.
 
Quand ils allaient à l’aventure,
L’un d’eux avait la tête en bas,
Le second y trouvait chaussure,
Ils trottaient avec maestria.
 
Fatigués, ils changeaient les rôles,
Homme debout, homme poirier,
Ils déplaçaient les quatre pôles,
Le ciel devenait le pavé.
 
On les avait munis de socques,
Demi – chaussure, demi-gant,
Pour que les cailloux ne les croquent,
Faites en peau de caïman.
 
Un matin vit des Siamoises
En arrêt sous le chapiteau,
Jumelles regardant pantoises,
Epaules en porte-manteau.
 
Les quatre se mirent en bande
Avec tendresse un soir d’été,
A qui demande et redemande,
Cœur apaisé corps accordé.
 
J’aurais bien voulu être puce
Pour me glisser sous le mitan.
Trop tard, par l’une ou l’autre astuce,
Ils avaient gagné l’océan.
 
On dit les deux hommes à la pêche,
L’un à bâbord l’autre à tribord,
Les femmes dansent à la fraîche,
Les hommes viennent en renfort.
 
On dit qu’ils ont progéniture,
Des filles et même un garçon,
De l’or dedans la chevelure
Ou déjà du poil au menton.
 
On dit… mais il faut laisser dire,
C’étaient deux gars de mon pays,
J’aimais leurs yeux et leur sourire
Et la force de leur défi.

Ma grand-mère était guérisseuse
Au fin fond d’un bled africain.
Quand elle y perdait son latin,
Elle se muait en pleureuse.
Visage en larmes, bras levés,
Elle criait chagrin, misère
Et même, se roulait par terre,
En invoquant les trépassés..
Elle avait bien bonne mémoire
Et me contait, poussant les feux,
Plaçant la voix, roulant les yeux,
Les chasses de l’Afrique noire,
Le temps desbwanassafaris,
Avides de trophées, de gloire,
Chapeau de cuir et veste ivoire,
Trompe-la-mort tous gabarits.
L’un d’eux, héros de faits de guerre,
Avait pisté le grand gibier,
Oreilles larges, corps blindé,
Long nez traînant, groupe grégaire.
La nuit d’avant, en bon chrétien,
Tout à la joie de l’aventure,
Levant le verre à Sainte Augure,
Il avait éclusé le grain.
 
Les porteurs et leur mélopée
L’assuraient que tout allait bien.
Il aima ce dernier matin
Sans aucune arrière-pensée,
Voulut un mâle, eut son petit.
A corps bourré, coeur intrépide,
Une crêpe sur sol aride,
Un broussard bien plus qu’aplati
Qui avait omis la défense.
Mais il fallait, coquin de sort,
Ramener le corps à bon port,
Lui dire adieu avec décence,
Mander des femmes au plateau.
Le temps pour elles du voyage,
Les restes dans un sarcophage,
On enterra l’homme-fardeau.
Ce fut fait avec élégance.
Missionnaires en position
Près de l’autel et même un tronc
Invitant à la redevance.
Dies irae. Pas après pas
Leur vinrent quelques lazaristes.
Ils s’improvisèrent choristes,
Leur offrirent l’eau de Cana.
Ma grand-mère, une femme altière,
Leur chanta larmes et douleur,
Ils remplirent son aumônière,
Le trépassé fit son bonheur.

Un portail ouvert,
Un perron désert,
La gentilhommière
Le volet fermé,
Allure princière,
Une âme à céder,
Laissait à l’encan
Son triste bilan.

Je passai le seuil,
Trouvai bon accueil.
Une fille accorde,
Le cœur sur la main,
En tenant la porte,
Fit son baratin.
« Fais comme chez toi,
Tu manges et tu bois. »

« Passe le repas »
Dis-je au monte-plat.
Je suis sans cervelle,
J’aurais dû tourner
Une manivelle,
Il resta fermé.
Je ne savais pas
Et il se moqua…

Gagnai le cellier
Pour me pardonner,
Et, devant la cave
Qui sentait le bois,
D’une voix suave,
Enonçai mes droits;
Me fis repousser.
Il fallait la clef.

Cherchai le verger,
Trouvai un pommier.
La fleur était rose,
Chantait la saison,
Il prenait la pose,
Venait du Japon.
Le ventre affamé,
Vins au potager

Un lutin me dit :

« Tout qui entre ici

Doit gagner salaire;
Veiller aux semis,
Nettoyer la terre,
Compter les fourmis,
Soigner nuit et jour
Les pommes d’amour.»

La fille revint.
« Encore un faquin.
Tiens-le à l’ouvrage,
Il aura demain
Un peu de laitage,
Un quignon de pain. »
A force de faim,
Je devins félin.

Et pour mon dîner,
Je les ai mangés.

Généalogie vestimentaire
Ah ! Savoir, savoir d’où l’on vient !
Je cédai à cette démarche,
Traquai le moindre patriarche
Un bel arbre en est le témoin.
 
J’ai donc ce lointain ascendant,
Un authentique sans-culotte
Qui prit froid un soir d’ouragan
Et mourut faute de bouillote.
Une Bretonne en kichenotte
Qui n’avait jamais le béguin
Quand débarquaient, regard coquin,
Les fiers Anglais en redingote.
Un corsetier né à Cambrai,
Un assidu de la jaquette
Qui travaillait de la braguette,

Fils d’un chapelier gros bonnet.

Escamoteur traîne-savate,
Un détrousseur main au gousset
Avant de l’avoir au collet,
Un de ces gars que l’on cravate…

Un défroqué fesse-mathieu
Et sa femme portant lévite,
Une bisaïeule érudite,
Bel esprit ou simple bas-bleu.

Un canotier, une tailleuse.
Des cols blancs comme des cols bleus.
……Sandales, jeans, une liseuse…
……Allons ! Je pars sous d’autres cieux…
 
Arrivée au bord de la mer,
Dessus le sable qui rutile,
Faisant fi du moindre textile,
Je serai bientôt pet-en-l’air.

A chaque saison,
Jouons, voulez-vous,
Jouons sans façon.
Chou, genou, bijou,
Pour noyer le temps
Annoncer brelan….
Jouons au forban,
A l’ange, au voyou,
A coupe-ruban,
A lance-cailloux,
Au petit cochon
Pendu au plafond.
Jouons au docteur,
A papa, maman,
A l’enfant de chœur,
A casse-tympan.
A celui qui louche,
A Sainte-Nitouche.
Au train électrique,
A chaton perché.
Au valet de pique,
A toucher couler,
A la barbichette,
A clique-musette.
 
Jouons à la guerre,
Aux dames, à l’échec,
A croiser le fer,
A gagner avec
Des soldats de plomb.
Jouons au ballon,
Au diable, au nain jaune
Et au mikado.
A la courte paume,
Au vieux jeu de go.
Aux dés, au tric trac,
A la course en sac.
A Colin Maillard,
A toucher la quille.
Au mail, au billard
Comme à la toupie.
Jouons à sésame,
Puis à trou-madame.
A rebus, charade
Ou cheval de bois,
A passer muscade,
A profil chinois.
Abracadabra,
Passe passera,
A chaque saison
Nous avons joué,
Joué sans façon.
Qui n’a pas changé ?
Comme au jeu de l’oie,
Un deux trois, c’est toi.

Quand j’étais jeune fille,
Je pris un vieil amant,
Il devint ma famille,
Mon été, mon printemps.
Il savait tout du monde,
Il avait bourlingué,
Mon âme vagabonde
Ne faisait que rêver.
Il contait ses voyages
Et cent mille océans,
Je fuyais sans bagages
Sur la rose des vents.
Epaule contre épaule,
Nous allions tendrement,
Un chenapan nous frôle,
Pervers ! a dit l’enfant.
Aux portes de l’automne,
J’ai pris un jeune amant,
Dans ses bras je frissonne,
Il me rend mon printemps.
Je n’ai pas mis de chaîne
Et n’ai rien demandé
Et bois à la fontaine
De mon corps apaisé..
Mon avenir sommeille.
Il sera toujours temps,
Quand je serai plus vieille,
De dresser le bilan.
Hanche tout contre hanche,
Nous allions nous tenant,
Un freluquet se penche,
Cougar ! fit l’insolent

La chance était à la fenêtre.
Quand j’ai voulu la faire entrer,
Conjuguant être et ne pas être,
Subitement, elle a filé.
 
L’amour surfait de vague en vague,
Me promettait le bel été,
Je rêvais déjà d’une bague,
Un coup de mer l’a emporté.
 
Me restait la terre promise,
La vie allait recommencer.
Les voleurs ont pris ma valise,
Me renvoyant à Trinité
 
Demi-soleil, halo de lune,
Pays des pluies et de Léthé,
J’ai jeté au vent la rancune,
Balayé futur et passé.
 
Et quand naît une aube nouvelle,
Je cueille le bonheur du jour,
Il a le goût de la cannelle,
Le carmin des pommes d’amour.

Tu viendras chez moi, au temps du muguet .
Le beau mois de mai, déjà dans ma tête
A chassé le froid, ordonné la fête,
Rêvé d’agnelet, cordes et archet.
 
Car il chantera, ce printemps nouveau.
Avec les petits, on fera la ronde,
Même, nous irons, l’humeur vagabonde,
Le long du ruisseau, patauger dans l’eau.
 
Nous moissonnerons des tiges de blé,
Mettrons de l’alu à leur âme tendre,
Le soir, aux bougeoirs, pourrons nous méprendre
Sous le plafond nu, d’étoiles semé.
 
Le feu mangera son content de bois,
Nous tendrons les mains vers l’âtre, en silence,
La nuit nous sera un bain de jouvence,
Nous retournerons aux jours d’autrefois.
 
L’hiver, là, dehors, a le cœur secret,
Etouffe les voix, caché sous la neige
Mais j’y écrirai, le prenant au piège,
Que tu reviendras au temps du muguet.

Lorsque, les bras en rond,
Fanchon,
En tablier,
Tend le soulier
Pour bien danser,
Quand cette jouvencelle,
Pucelle
A vous damner,
Menton levé,
Le teint rosé,
Le cœur en fleur sauvage,
Langage
Spontané,
Corps bien cambré,
Enrubanné,
Lorsque Fanchon s’élance,
En transe,
Qu’elle fiance
Enfin son être
Aux sons à naître,
Et danse et danse et danse,
Commence
Le regain.
Et tout soudain,
Main dans la main,
En aval, en amont,
Sous toit,
Au balcon,
Au cœur des bois,
Au pied des croix,
Le temps se perd .L’hiver
Chantonne
Et l’automne
Qui s’abandonne
Jette en enfer
Le vent le froid. La pluie
S’ennuie.
S’illumine
Chaque chaumine.
La nuit s’enfuit
Lorsque Fanchon la belle,
Prunelle
De tison,
Les bras en rond,
Tourne et tourne à perdre raison.

Toi qui me connais bien,
Tu me connais à peine.
Le monde est une scène
Et l’homme un baladin,
 
Toi qui sais mes chagrins,
Mes rires, mes fredaines
Et les chants des sirènes,
Les cahots des chemins,
 
Toi qui sais mon émoi,
Les gestes qui m’enflamment,
Les frissons qui m’affament,
Tu ne sais rien de moi.
 
Comment le pourrais-tu?
Je ne sais pas moi-même,
Je sais juste qui m’aime,
Ou du moins je l’ai cru.
 
Je ne suis plus celui
Du temps qui me précède,
De l’instant qui m’obsède,
D’un passé engourdi…
 
Levé tôt le matin
Pour le jour qui m’enchaîne,
Le cœur en bas de laine,
Je vais droit le chemin
 
Oubliant de rêver.
Ça n’en vaut pas la peine,
Eternelle rengaine
Et la loi du pavé.
 
Je vais, toujours mené
Par le dieu de l’arène,
Dieu des âmes en peine,
Muet et endiablé.
 
Et moi qui ne sais pas
Où s’enfonce la route,
La sente qui cailloute,
M’en vais cahin-caha.
 
Qui serai-je arrivé ?
C’est la vie qui façonne,
La vie qui vous rançonne
Aux hasards du sentier.
 
Toi qui me connais bien,
De moi, tu ne sais rien.

La dame, en son jardin secret,
Cultivait la rime et la prose,
Muraille haute, grille close,
Chanson du monde, farfadet.
Elle y avait, au fil des ans,
Semé l’émoi, la joie, la peine,
Dit nos saisons, trahi la haine,
Joué la vie à mille temps.
La phrase lui obéissait.
Elle s’ordonnait en confiance,
La connaissait depuis l’enfance,
Fille rieuse, feu-follet.
Et, s’en allait de grand matin,
Toujours un rêve dans la tête,
Cueillant la fête ou la tempête,
La bouquetière en son chemin.
Un indiscret sauta le mur,
Entendit se fermer la porte.
C’était avant la feuille morte,
A l’heure où décline l’azur.
Un autre vint. Un autre encor…
On trouva la place déserte.
Le jardin courait à sa perte,
Il peignait un triste décor.
Si, dès lors, dans les champs de lin,
Fleurissent des couleurs étranges,
Se font entendre des voix d’anges
Entre doux velours et satin,
Si, le cœur orné de jasmin,
Passe la vieille enchanteresse,
Prévenez-moi à cette adresse :
Rue de la dame en son jardin.

Chantal Demeter

Tu n’iras plus jamais au bois,
Le feu n’y a laissé que cendres,
Nul ne pourra plus s’y éprendre,
Y graver son cœur et sa foi.
 
N’y restera, pour bien longtemps,
Que souvenir d’exubérance,
De la fontaine de jouvence
Aux accents de flute de Pan
 
Et donc tu n’iras plus au bois,
Y sommeiller sous la ramée
Après bien fière chevauchée,
La flamme y a gobé sa proie
 
Elle en a mangeouillé le cœur
Celui qui berça ton enfance
Et s’est gorgée à pleine outrance,
Avec chaleur, avec ardeur.
 
Tu n’iras plus jamais au bois,
Le terrain de jeu d’autrefois.

M’as-tu vu se promène,
Il fête le printemps.
La ville est une scène,
Lui, un vieil Artaban
Qui a chapeau de paille
Et foulard chatoyant,
Evite la marmaille
Et nourrit les cancans .
« Un galant qui plastronne ! »
« Minuit à son cadran.. !! »
« L’air de n’être personne,
Et pourtant, et pourtant… »
Les langues se délient.
Il aborde Eugénie,
Veut porter son panier.
Puis accoste Germaine,
Elle presse le pas,
Agite sa bedaine
Et ses vieux falbalas… »
« Il est chez l’antiquaire
Et lui parle latin !!
S’en prend à la bouchère
Et lui baise la main !! »
« Il suit femmes et filles
Sûr, c’est un débauché ! »
« Il a passé mes grilles,
Abordé ma Zoé !! »
 
« Le père à l’épicière ?
« Ah, vous ne savez pas?…
Il est six pieds sous terre «
« Jésus Marie Maria… «
Rien que des âneries
Et mille noms d’oiseaux…
Déjà on crucifie
Ce vieux godelureau…
On se munit de canes,
On boucle à double tour,
Les vieilles se pavanent
Qui sont en mal d’amour !!!
Le tocsin est en peine,
Où diable est le curé ?
En terre bien chrétienne,
Le diable a débarqué !!
On le traque, il s’évade
Tout comme il est venu
Il est passé muscade
Loin du tohu-bohu.
Oh, mais quelle bêtise,
Car bon dieu de bon dieu,
Cette éminence grise
Était L’homme des vœux,
Qui pour bonne réponse,
Vous couvre de cadeaux,
A la chasse, un grand bonze,
Et vous, des étourneaux !!!

Au cœur du bois
Dort une hutte
Tout de guingois, tout de guingois,
Une cabane, une cahute,
Elle est à moi…
 
Et pas au roi… !!
A plein volute,
Qu’il fasse trop chaud ou bien froid,
J’y vais pour y chante turlute,
A pleine voix.
 
De bon aloi,
De haute lutte,
Dou de li do, doude li doi…
Montent les notes et se percutent
Comme il se doit
 
Dis-moi pourquoi… ?
Le chant débute,
Quelqu‘un m’appelle à tu à toi
Un gars est là pour la turlutte… !!
Non, mais des fois !!!

J’avionsaussi un(e) particule,
-Madame, vous m’avez chassé-
Oh, pas vraiment la majuscule,
Un minuscule potager…
Donc, pour vous dire en préambule,
Mon père, il avait du métier,
Il s’appelait la Tarentule,
Nettoyait caves et greniers,
Traquait chez vous, animalcule,
Nuisible, à s’en empoussiérer.
Mais il n’est plus, point et virgule,
Une salope l’a piqué.
Ayant le même matricule
Et soucieux de vous dépanner,
En courroux contre mandibules,
Il me fallait continuer…
Et donc, Madame « noctambule »
Au grand château illuminé,
Je vins, bouquet de campanules
Et mes hommages à vos pieds.
Las ! Mon cœur se démantibule !
Vous voir au bas de l’escalier !
Je n’ai rien d’un « homonticule » !…
Mais dehors me voilà jeté !
Pour mieux le dire, j’ar-ti-cule,
De père, je suis l’héritier.
Il grignotait vos corpuscules ?
Je f’sais pipi sur les dentiers !!

La vie nous vient, passe la porte
Et, comme un loup, un jour s’en va…
Le temps reçu est notre escorte
Sur le chemin du Nirvana :
« Puisque l’on entre, il faut qu’on sorte,
A chaque instant sa tombola.
Du muguet à la feuille morte,
Le chant du monde c’est le glas. »
Ce temps n’y va pas de main- morte,
Ne sait rien du duplicata,
On nait bonheur, finit cloporte,
De l’ici-bas à l’au-delà.
Celui qui a la jambe torte,
Il s’en ira cahin-caha.
Le fils du roi, la veuve accorte,
Le magnat, la prima-donna,
Le faible comme l’âme forte,
Sans dieux ou priant Jéhovah,
Seront fétus que bise emporte
Dans l’inconnu de l’oméga.

Voici venir le vieil automne,
La vie a déserté le bois,
La feuille meurt, le vent moissonne.
La pluie tempête sur le toit.
Voici venir mon vieil automne.
Passe le temps, passe le mois,
C’est la vie et je lui pardonne,
Les beaux jours n’ont pas eu le choix.
Elle fut belle, elle fut bonne,
Elle fut de tant de saveur,
La vie est comme on la façonne,
Aimante, aimée, force et douceur.
Elle écrivit un long poème.
Me restent l’automne et l’hiver,
Des cheveux blancs en diadème,
Et ce journal jamais amer.
La feuille meurt au jour trop blême,
La sève en a sonné le glas.
De même vont ceux que l’on aime,
Comme elle,vont ceux-ci, ceux-là,
Et vont aussi, même rengaine,
Cahin-caha, même combat,
Buvant à la même fontaine,
S’en vont ceux que l’on n’aime pas.

Matin. Le froid, la grosse laine.
Déjà, le carreau est blafard.
Décembre achève la douzaine,
Frimaire fait le grand écart.
Il est passé. Sur le qui-vive,
A malmené le beau verger,
Meurtri les feuilles en dérive
Et fait ruer le vent léger.
Ne m’avait pas donné sa carte.
Il était arrivé masqué,
Avait signé la Grande Charte :
Le froid partout devait régner.
Le fil du temps est vieille lune,
Il ne pouvait pas me tromper :
De bonne ou mauvaise fortune
Coulent les jours du sablier.
Et chaque année, ainsi, les danse,
Compte à rebours, puis le retour,
L’hiver, usé, donne créance
Au printemps, pour chanter l’amour.
Je n’en connais pas la formule.
Que n’ai-je été simple saison ?
Les cheveux blancs du crépuscule
Me reviendraient couleur moisson.
Mais ma dernière aube gloutonne,
De celles qui lancent le dé,
Ne trouvera qu’âme d’automne
Aux portes de l’éternité.

Filent les ans, s’éteint le jour,
La neige, le soleil de plomb,
Passe l’amant, passe l’amour,
L’eau ne remonte pas l’amont.
 
Au jardin, la glycine est morte
D’avoir consommé son printemps.
Ce matin, j’ai fermé la porte,
Insensible aux rides du temps.
 
Mais j’ai gardé l’âme légère,
La vie a relevé le gant,
Même le roc est éphémère
A la mesure du néant.
 
Les mois s’en vont, les mois se taillent,
Les saisons rythment les passions,
J’ai vécu celles des semailles
Et prisé celles des moissons.

« Demain, il fera beau » disait une chanson.
Le soleil régnera sur un monde volage,
Il suffisait d’y croire, espoir vaut mieux que rage,
S’en vont à reculons les aubes de guignon.
 
Un avion, là-haut, et ce nom de Mirage !
Il peignit dans le ciel un chemin d’évasion,
Filait vers l’avenir, ce qui en disait long…
Demain, un jour nouveau, demain en héritage…
 
Mais pour pêcher demain, il fallait l’hameçon,
Marcher à s’épuiser, mettre le peu en gage
Et se voir dépouillé, vendre son pucelage,
Ne jamais regretter, il n’y a pas raison.
 
Rêver de renouveau, du sable d’une plage,
De la rive qui vient et lâcher l’aviron…
Débarquer plein soleil ou la neige en flocon,
Esquif contre bateau,monter à l’abordage…
 
Mais faute à pas de chance, tant font le grand plongeon,
Entre dieux et démons la mer souvent divague
Et pleurera demain, comme pleure la vague,
        Sans révéler vos noms.

C’était la veille de Noël.
L’enfant réinventait le ciel,
Y avait peint quelques étoiles,
Un fier bateau à grandes voiles
Et puis au fond, un grand sapin.
Du pain, pour qu’il y ait festin.
 
L’éther s’en alla, grommelant,
Chercher le bleu de l’océan.
Le môme rit : « la mer est grise !
Je refais le monde à ma guise !
Il est tout ce que je n’ai pas ! »
Puis le trois-mâts se libéra.
 
Il glisse à l’eau. Claquez, drapeaux !
Et hisse et haut. Les matelots
Narguent le vent à la bouline.
Le flot se gonfle, se ravine.
Les gars se partagent le pain.
Ils n’y avaient pas vu larcin.
 
Ne restait que l’épicéa
Embarrassé, grand échalas ;
Il ne savait comment le dire,
Il n’était plus le point de mire.
« Depuis toujours, je suis le roi
Des eaux et forêts par octroi.
 
J’en ai connu, des Noëls francs,
Patins d’argent sur les étangs.
Il n’en subsiste pas grand-chose,
Alors, petit, peut-être, j’ose… ! »
« Majesté, voici mon dessin,
La nuit gommera ton chagrin. »
 
Quand le minot se réveilla,
Le monde était poudré frimas.
La neige avait mangé décembre,
Il faisait bon, dedans la chambre.
Au naturel comme au verjus,
En matelote, au pain perdu,
 
En crapaudine, au court-bouillon,
Au blanc, au roux, en miroton,
A la flamande, à la framboise,
A la tartare, à la bourgeoise…
Produits de la ferme ou du chai,
La pièce à vivre se gavait.
 
Les parents se tenaient la main.
Ils y avaient perdu latin !
Un bon feu crépitait dans l’âtre.
L’aube, dehors, était d’albâtre.
L’enfant pensait en souriant :
« Comme c’est beau, un matin blanc ! »

Voilà. Le jour se voile
Et je m’en vais, charnel,
Et n’attends que l’étoile
Où mon dernier sommeil
Long et seul, éternel,
Trouvera le repos.
 
Je n’ai pour seul fardeau
Que mon âme légère,
La crainte d’oublier les temps de vrai bonheur.
Le soleil me venait quand le froid m’étreignait,
Chargeait d’or mes hivers,
Ainsi, en tapinois,
Rayonnait à Noël, à la pluie, aux frimas.
Rutilait le printemps sous la neige rebelle.
La palette des bois explosait de bien-être,
L’arbre pouvait renaître !
Dans le verglas d’hier se mirait le mois d’août
Et le jour de Marie fêtait la Saint Sylvestre
Et nos cœurs étaient fous.
 
J’ai tant couru les routes.
Qu’ai-je appris en chemin des sables qui cailloutent ?
Le monde est fait de plumes,
Quand un enfant y vient,
Le regard dans la brume,
En mettre dans sa main.
 
Il faudra qu’il écrive
Laisse un trait sur les rives
Du fleuve des humains.
Pour peu qu’il n’y arrive,
Qu’il dessine.
Car il doit y mettre un peu du sien.
Nous sommes l’aujourd’hui
Et nous créons demain.
Et le ciel et l’enfer, issus du même puits
Combattent côte à côte.
Le bout du nez de l’homme ne s’en va pas plus loin
Que promesses de l’aube
Et le monde s’éteint.
 
Voilà. La messe est dite
Et j’ai fait mon bagage,
Oublié l’eau bénite,
Accepté le destin,
Mis le passé en gage
Car je m’en vais demain.

C’est un miracle dans la mer,
Un îlot que le vent agace,
Le temps s’y perd et puis rêvasse,
Juste un petit bout de désert.
        Des récifs en crête de coq…
        Ne les dessine aucune carte.
        La vie est loin, qui s’en écarte.
        Fuit l’horizon, guette le roc.
Un air léger effleure l’eau.
L’écume est une dentellière.
Des oiseaux blancs, en séminaire,
Viennent compléter le tableau.
        Ils sont figés, comme plantons,
        Servent la reine Solitude.
        Elle est sauvage et se dénude,
        Ils vont, au rythme des saisons.
C’est un miracle né du flot
Et qui se moque bien des hommes.
Elle n’est pas comme nous sommes,
Les rêves bleus lui tiennent chaud.
        Elle s’éveille avec sa cour.
        S’ouvrent alors des fleurs étranges,
        Des becs avides de vendanges
        Picorent leur bonheur du jour.
Je m’y rendrai à l’an nouveau,
En vieille gabare ou barcasse.
Avant que l’onde ne se lasse,
J’y saborderai mon bateau.

Le vent à longue haleine
D’ici à l’horizon,
Compagnon de ma peine,
Vous dira ma chanson.

Combien j’aimais l’abeille
Et la fleur et l’oiseau,
Le pain dans la corbeille,
Le rire du ruisseau…

… Il pleut. Le chemin blême
Qui mène à la maison
Se plaint d’être le même
De saison en saison.

Il n’y monte personne.
Neige, soleil de plomb,
L’inaction le cantonne
A tourner seul en rond.

Je suis la fille laide,
Celle qu’on ne prend pas.
Il n’est pas de remède
A naître sans appas.

Celle que l’on brocarde
Le rire au creux des yeux,
Qui jamais ne s’attarde
Auprès des gens heureux.

Et qui se déshabille
Seule, quand il fait noir,
Dont le cœur est guenille
Et le corps éteignoir.

Qui honore la Grâce
Et chante Alléluia,
Qu’aucun homme n’embrase
Et qui ne s’aime pas.

Mais le temps se balade
Et passe l’Achéron,
Vient la grande escapade
Qui efface les dons.

Le souffle de la plaine
Qu’arrête le surplomb
N’a point trouvé de haine
Dedans mon balluchon.

J’étais la femme laide
Que l’on ne baise pas
Et qui jamais n’accède
A de tendres ébats.

J’ignore tout du nombre
Des victimes du glas,
Me suis donnée à l’ombre,
Sommeille dans son bras.

Je suis née à la bonne étoile,
Ai vécu au fil du courant,
Aime le vent, hisse la voile
Et navigue vers le néant.

S’il vous vient de semer mes cendres,
Prenez les tons de mes vingt ans,
Arrivée aux derniers méandres
Des quatre saisons de mon temps,
Mon âme a couleur de safran.

Alice fut ma grande amie,
Aurèle mon premier amant,
L’arc-en-ciel a signé ma vie,
En a coloré les instants.

Il m’auréola de lumière,
Eut la beauté de mes ébats,
Me donna le feu de la terre
Et la force de mes combats.

S’il était roi de l’éphémère,
Il renaissait tel celui-là,
Ce phénix, bien belle chimère
Qui, après bûcher, s’envola.

Il fut donc mon ange suprême,
Bleu de ciel comme bleu de roi,
Il fut le plus beau des poèmes,
Un orfèvre de bon aloi.

°°°

Mon printemps fut le temps d’apprendre
Sur le dos, puis à deux genoux,
Sur deux pieds, oh ! Toujours dépendre,
Chou joujou bijou et caillou.

Mais le pire, ce fut l’école,
Ra –Re-Ri-Ro-Ron-Ru-Ran-Rou,
Pauvre moi, petite luciole
N’écoutant que peu ou que prou.

Mais il y avait ma grand-mère
Et son jardin aux mille fleurs
Où sommeillaient tant de mystères
Où se faufilaient tant d’odeurs.

Les œillets et les capucines,
Les bleuets et pois de senteur,
Jonquilles, glaïeuls, aubépines
Et muguets faisaient mon bonheur.

Aux fêtes des quartiers voisins,
Les tartes suivaient à la chaîne,
Grand-mère, de soir à matin,
Rêve de roi, saveur de reine,

Récurait, farinait la table,
Battait la pâte à pleine main,
L’abaissait à coups redoutables
Et nous préparait un festin.

Les mille couleurs des groseilles
Voisinaient avec l’abricot,
La pomme au parfum de cannelle,
La cerise coquelicot,

Avec myrtille et sucre blanc,
Avec prune, avec mirabelle,
Riz au lait couleur isabelle,
Avec sucre brun, tarte au flan.

Ma mère, assise au piano,
Tapait des lettres à Elise.
Ce fut un charmant quiproquo
Avant que je ne réalise

Qu’un piano n’écrivait pas.
Elle nous jouait le courage
Du cheval en mauvais état
Qui tomba au cœur d’un orage.

Puis il y avait ma grand-mère,
Fidèle à Ra-Re-Ri-Ru-Ro
Qu’il fallait bien que j’énumère
En tirade sans nul accroc.

Il fallait tous les reconnaître,
Ils allaient en méli-mélo,
Ma grand-mère était le grand-maître
Et moi je vivais le chaos.

Le ciel était couleur nuage
Ou soleil suivant le moment,
L’arc-en-ciel faisait le ménage,
Sauvait le petit cheval blanc

Mais ne changeait pas ma grand-mère,
Toute douceur, tout en labeur,
Point d’une école buissonnière,
Lire, écrire et les professeurs.

Ce fut le temps des ribambelles,
Course en sac et saute-mouton,
Des ballons et de la marelle
Et des fleurs en papier crépon.

Le temps des arbres pris d’assaut
Dans les vergers de l’insouciance,
Des compétitions d’escargots
Sur les murets de notre enfance.

Enfin naquit le temps des roses,
Belles, belles filles en fleur,
Les bourgeons en apothéose
Jeunettes en accroche-cœur.

Mais il y avait tant de livres
Chargés de puissantes couleurs
Et je m’en allais en dérive
Tout près des berges du bonheur.

Je m’en allais de page en page,
Vies de rois ou de forbans,
De vieux fous, de femmes volages,
D’esclaves ou de conquérants.

Et l’esprit toujours en voyage
Sur les ailes des goélands,
J’abordais le moindre ermitage,
Ne craignant ni vagues ni vents.

Je rimais ce monde de rêve.
J’avais traversé le miroir,
Je lisais, j’écrivais sans trêve
Colorais les ombres du soir.

Puis s’ouvrit un nouveau chemin
Et la voie de mille tendresses
Porte ouverte à mille caresses
Et ce fut le premier matin.

La rime n’est pas assez riche
Pour dire les cris de nos cœurs.
Il aurait fallu que je triche
Pour en dépeindre la saveur.

Je me souviens…comme il était
Quand il parut sur mon rivage.
L’arc-en-ciel des tiroirs secrets
Avait jeté de l’or au sable.

Lui avait mis une chemise
Mise pour sécher au jardin,
Une de ces mises qui grisent,
Il fleurait la fleur de jasmin.

Et se changea le cours des choses.
Je remisai cahiers, crayons,
Dans une cachette bien close
Dont je ne dirai pas le nom.

Icare me rognait les rêves,
Me conduisait à mon destin,
Des ailes à l’épaule frêle,
L’écharpe d’Iris à la main.

Et le temps se mit à bondir,
Plus loin toujours, toujours plus vite,
Chaque aube était une pépite,
Un bout de ciel en devenir.

Et le temps s’ajouta au temps,
Couleur carmin, couleur cerise,
Aux cris, aux rires des enfants,
Tant de joies pour tant de bêtises.

Nous mettions nos jours en musique
Mais sans toucher au piano,
Je n’en avais pas la pratique,
Je préférais les ronds dans l’eau.

Et vinrent les journées d’école.
Oh ! Pauvres petits prisonniers.
Ils rêvaient jeux et cabrioles,
Ficelés devant les cahiers.

Le calcul, ce grand hypocrite,
Rajoutait quelques tours d’écrou,
Leur laissait l’âme déconfite,
Après choux genoux et cailloux.

Ils peignaient le ciel des vacances ;
Cumulets sur sable doré.
Quand venait le temps de l’errance,
Ils jetaient le maître au bûcher.

Le monde n’avait plus de borne.
L’océan était un couloir.
De Pôle Nord à Capricorne,
La terre devenait mouchoir.

Et les petits, enfin plus grands,
Se muèrent en fiers nomades,
En amoureux de l’escapade
Sur les ailes d’oiseaux d’argent.

J’avais à peine été la mère,
Quelques années, quelques instants,
Il leur fallut une grand-mère,
Un tour ou deux sur le cadran.

Dans les traces des jours passés,
Je remis cœur en bandoulière,
Les pas de mes souliers ailés
Ainsi que mon âme légère

Apte à battre l’adversité.
Le vent ne prévient pas le sable,
Le feu brûle jusqu’au rocher,
L’eau ne contrôle pas la vague.

Je ne dirai pas les mouvances
D’un monde souvent chahuté,
Je ne veux conter que la chance
D’une bribe d’éternité.

Et que les chiffres et les lettres,
Sept et neuf, joujoux et cailloux,
Tout comme hier en amourette,
Firent naître quelques courroux.

Pardon. Je n’ai pas eu d’automne.
Pardon au maître des saisons,
J’ai toujours été la championne
Des ronds dans l’eau sous les lampions.

Et j’ai vécu d’éclats de rire.
J’avais l’âge de ces petits,
De leurs fêtes, de leurs délires
Aux portes bleues du paradis.

Je n’ai vraiment connu l’automne
Qu’en voyant le long des sentiers
Les feuilles qui s’y abandonnent
Et qui jalonnent les bourbiers.

Des feuilles couleur de départ
Mortes au vent fort de novembre,
Des ombrages en étendards
Et puis qui s’en allaient à l’amble.

Elles avaient leur chant de cygne,
Toutes, pourpre, bronze ou vieil or,
Attentives à finir dignes,
A plaire quelques jours encor.

Mais ce n’était pas mes couleurs.
J’allais à la quête aux noisettes,
A ces marrons tout en rondeur,
Aux faînes, aux noix à fossettes.

Un matin, je vis le miroir
Enfoui au fin fond des âges
Au fin fond d’un profond tiroir
Où dormait un vieil héritage.

J’ai vu l’hiver et mon visage.
Si mes cheveux n’étaient pas blancs,
J’avais passé le temps des plages
Et des ronds dans l’eau des étangs.

Demain, après-demain peut-être,
Neige, frimas, grêle, brouillard,
Je refermerai la fenêtre,
Il fera nuit, il sera tard.

Si dès lors vous prenez la piste
Pour me faire un ultime adieu,
De grâce ne soyez pas tristes,
Vêtez-vous comme gens heureux.

Et ne m’apportez pas de fleurs,
Préservez leur frêle existence.
J’emporte au cœur tant de couleurs
Et dans l’âme tant de fragrance.

Apportez-moi quelques semences
A disperser sur mon repos
Et jouez-moi de préférence,
Pour que renaisse l’âge tendre,
Quelques notes de piano,

La fin du petit cheval blanc.

A pas menus, pas de néant
S’en va, cassée et diaphane,
Au bruit martelé de sa canne,
La vieille femme au pauvre Jean.

Lui, sommeille à la « Clé des Champs »,
Il a son voisin, sa voisine.
Elle, n’a rien et s’achemine
Du cimetière aux quatre vents.

C’est qu’il est mort y a bien longtemps.
Un homme à l’œil qui vous enjôle,
Un coup de gnôle, il était drôle
Et dansait, vous chauffait le sang.

Elle ne compte plus le temps.
Hiver, été, la belle affaire.
L’était heureux, avant la guerre
Dont il revint clopin-clopant.

Et pour toujours un air absent,
La vie à traînailler la hanche
Et d’oublier que c’est dimanche
Et n’avoir pas un sou vaillant.

Elle a trimé, la femme à Jean,
Tenté de lui briser l’écorce,
Rêvé de lui donner sa force,
Pleuré de n’avoir pas d’enfant.

Le chemin grimpe et ses rubans
Montent la butte et s’entortillent.
Le bon matin part en guenilles
Vers la maison dehors les ans.

Et s’en retourne en claudiquant
L’aïeule qui, soudain, gouaille :
« Tant qu’à penser à la mitraille,
M’en va piéger un ortolan ! »

La fille qui boite, aux yeux verts,
M’a récité un long poème,
La chanson de tout ce qu’elle aime,
De ses étés, de ses hivers.

Elle a dit la course du vent
Qui tire à lui la feuille morte
Et la malmène et puis l’emporte
Et va, et vient, dans un élan.

Les beaux chemins des matins blancs,
Les dessins de pas dans la neige,
Les flocons légers en cortège
Et l’allégresse des enfants

Qui patinent en longs rubans
Se poursuivant les uns les autres,
Qui se canardent puis se vautrent,
Bottes, bonnets, écharpes, gants.

Elle a parlé de l’océan,
De ses rouleaux plus fous que sages,
Toujours à l’assaut des rivages ;
Du goéland, du cormoran.

Des langues de feu du volcan,
D’orages, rages et tourmente,
D’avoir vu l’Etoile filante
Un bref instant, au firmament…

Elle m’a chuchoté des vers
Nourris de galops, de vacarme,
Elle n’a pas versé de larme,
La fille qui boite, aux yeux verts.

L’amour faiblit, qu’on se le dise,
Il a connu tant de saisons,
Passé frimas, posé valise
Et vécu les contrefaçons.

J’avance les mains dans les poches,
Le soir tombe sur mon chemin.
Les heures vont et s’effilochent
Ne valent pas l’alexandrin.

Si lente passe l’existence
A rêver d’hier, d’avant-hier.
Quelques photos de prime enfance,
Belle insouciance et raisin vert.

« Un printemps à compter fleurettes… »
« L’automne fêtant Saint Martin… »
« L’été, nuit claire et bals musettes… »
« L’hiver et mon cœur gris de lin… »

« Un pré voué à pâquerette… ! »
Soudain, je me revois enfant.
Chaque matin, c’est la cueillette,
La maison veille, droit devant.

Point de loup pour croquer chevrette,
Un banc pour femmes aux tricots.
Le soleil darde sa lorgnette,
Tendresse des coquelicots.

Tu apparais à la minute
A l’autre bout du paradis
Auprès de la petite butte
Que tu descends couci-couci

Je sais bien que tu me regardes,
Du coin de l’œil, je guette aussi,
Et je traînaille et tu musardes,
Fidèles en catimini.

Nous avons l’âge de trois pommes,
Charlotte est d’ailleurs mon prénom,
Mystères et boules de gommes,
Polichinelle et mirliton.
Ce bon artiste qui crayonne,
Peynet, ne passa point par là,

Dedans le champ qui liseronne,
Aucun n’osa le premier pas.

Le temps ignore tout qui aime.
Un long camion…Tu disparus.
Partout, j’ai mené la Bohême,
Et je ne t’ai jamais revu.

Je regardais le ciel
Tracer des lignes blanches.
Un oiseau dans les branches,
Trop rare ménestrel,

Faisait la révérence,
Tête en haut, tête en bas,
Gazouillis maestria.
Dressée en connivence,

Une fleur bleu pervenche
Dansa. Et le printemps,
Bon prince, bon enfant,
Lui laissa carte blanche.

Nymphes et chrysalides…
Il lui fit un présent,
Un papillon safran.
Oh rêves d’Hespérides…

De genêt et d’orange
Voletait un citron
Ivre d’une chanson
Que sifflait la mésange.

L’orvet déshabillé,
Abandonnant sa mue,
Gobait sans retenue

Les œufs du poulailler.
Jardins de mon enfance.
L’escargot s’engluait
Et jamais n’arrivait
A suivre la cadence.

Les hannetons des roses
Décortiquaient la fleur
Lui mangeouillaient le cœur.
Les hérissons moroses,

Comme fait la tortue,
Loin de prendre le train
Se traînaient sans entrain
Jusqu’à déconvenue.

Passait un équipage
Qui, d’un seul entrechat,
Sans remord, sans fracas,
N’en faisait pas fromage.

Dame de Recouvrance,
Oh, que tout recommence !!

Elles allaient par deux, par trois,
Bras, mains, dedans les noires manches,
Pieusement, plaidant leur foi,
Les samedis et les dimanches.
Et de planton sur le parvis,

Confiserie au fond des poches,
Bradaient les clés du paradis
Bien mieux qu’en agitant fantoches.

« Sœur Jeanne, j’ai fait mon devoir »
Ne valait qu’un bout de réglisse.
« Je suis chargé de l’ostensoir »
« Ma sœur, je viens chanter l’office.»

« J’ai confessé tous mes péchés ! »
Caramels mous, boules de gomme,
Angélique et marrons glacés…
Un tricheur se paya leur pomme.

Les poches de son vieux falzar
Valaient le ciboire aux hosties.
Les sœurs battues par ce lascar
Se virent lourdées à complies

Et les jeunots qui mâchouillaient
La manne au fils de l’épicière
Eurent congé à folle enchère
A moindre frais, à moindre frais

L’enfance est peau de nos chagrins,
Le temps s’allonge et s’amenuise,
Et n’en fait jamais qu’à sa guise,
Il dort tranquille en nos jardins.
 
Dans un de mes livres d’école,
Dévoré cru soir et matin,
Dormaient ces vers de faribole
De l’homme qui mangea sa main.
 
Un demi-siècle ont sommeillé
Tout comme fourmis et cigales,

Ces tristes lignes cannibales
Dans les méandres du passé.

Mais avoir bu à la fontaine
Des dieux de la calamité

A ranimé, miton, mitaine,

Ce qu’on ne peut que regretter…
 
Qui était-il ? J’ai oublié…
Un jeune apprenti boucherie,
Une main réduite en charpie,
La faute au moulin à broyer…
 
Plus d’une fille en fut marrie

Sans l’avoir jamais rencontré…
Les heures passent, l’on oublie,
Les lendemains peuvent chanter…

Longtemps après, de grand matin,
Soudain, me suis-je souvenue,
Posant question bien incongrue
« A-t-on mangé l’américain ? »

On disait de mon grand-père
« Au chant du coq dans son champ »,
Moi, l’école buissonnière,
J’y danse avec le dieu Pan…
Matin ? C’est déjà demain ?
Le vieux volet s’entrebâille,
Laisse filtrer la grisaille
Et me fait l’esprit chagrin !
Les pieds sous la courtepointe
Et le nez dans l’oreiller,
Je me chante la complainte
De Mandrin le bien- aimé
Oh , que vienne à mon secours
Ce grand cœur que l’on pendille,
Ce héros qui se tortille,
Le jour sera de velours,
Echapperai à ma mère
Et partirai du bon pied,
Filerai à la rivière,

Les galets vont ricocher !!

Verrai trembler le bouchon
Et frémir la vaguelette
Que viennent dans l’épuisette
Perches, truites et goujons…
Bien trop courte, la rengaine…
« Oui maman, je suis levé ! »
Ah ! Si j’étais tire-laine,
Ne devrais pas me laver.

La clairière aux dix renégats
Est maudite, on n’y passe guère,
Tout là-bas, pour fait de non-guerre,
On tua de pauvres soldats.
Une fosse et l’anonymat…
Ils sont là, perdus sous la terre,
Pas de nom, pas la moindre pierre,
L’herbe est verte, on n’y touche pas.
Père dit qu’aux soirs de grand vent,
On entend qu’ils pleurent misère
Et que si c’était à refaire,
Ils iraient mourir en chantant.
Les anciens,eux, de vieilles gens,
Courbatus, larme à la paupière,
Savent bien qu’il vaut mieux se taire
Que dire : C’étaient nos enfants.
La clairière aux dix renégats,
Moi, j’y vais trouver le silence.
Tout là-bas, le feuillage est dense,
Et je chante pour les soldats.
Et je vais, et je tends les bras
Au soleil qui les ré-enfante,
Alentour, la forêt m’enchante
Et je danse avec les soldats.

Dans l’herbe haute, on ne voit pas,
Qu’ils soient batwa ou bakunda,
Les p’tits pygmées. Les troncs. Les naines.
Les myrmidons et leurs bedaines…
 
Ce qu’ils y font, on ne sait pas !
Alors, quand je suis dans tes bras,
Dans les joncs bordant la rivière,
A conjuguer miel et mystère,
 
La berge garde nos secrets.
Les follets et les farfadets
Font un pied de nez aux commères,
A Midas, au pape, à mes frères…
 
S’en viendraient un lilliputien,
Un gnome, un nabot de jardin,
Même un zombi du Père Lachaise,
Ils se tairaient, ne t’en déplaise…
 
Et le roseau qui se balance
Au vent léger qui nous fiance,
La vaguelette et le serin,
Ne diraient rien, ne diraient rien.

Reviens-moi, mon bel amant,
Dans la brume ou la tempête,
Pleine lune ou matin blanc,
                 Peu importe, un jour de fête.
Mardi gras fera bombance,
Le sapin sera d’argent,
Au petit bonheur la chance,
Nous cueillerons le printemps
Chanterons les yeux mi-clos
                 Oublieux de la misère,
                 Danserons sans dire un mot,
Comme nous faisions naguère.
Comme au temps des feuilles mortes
Lorsque nous nous aimions tant,
Avant qu’on frappe à la porte
A nous briser les tympans.
Reviens-moi, mon tendre amant,
Nous nous roulerons dans l’herbe,
                 Je porterai mes rubans,
                 Nous mettrons le blé en gerbe.
Y aura plus jamais de guerre
Quand on se retrouvera,
N’y aura plus de frontière
Et le ciel s’étoilera.

A l’auberge sans nom,
Des hommes sans mémoire,
Vont,
Estompantleurs déboires
A grands coups de flacons.
 
Ils ont peu de regard
Et si peu de paroles ;
Tard,
Dans la nuit qui racole,
Ils prennent au hasard
 
Une femme, un gourbi,
Du repos, un coin sombre
Puis,
Ombres parmi les ombres,
Emergeant de l’oubli,
 
Gagnent un vieux bateau
Qui dort dessus l’eau noire,
Eau
Sans gloire ni mémoire
Comme les matelots.

C’est un sapin qui se dégrade,
Il a connu tant de printemps,
Unit le vert et la muscade
Et danse, et danse à contretemps,
 
Déploie des branches qui font peine,
Sent le sapin, comme il se doit,
Aiguille vive ou la gangrène
De fibres en chemin de croix.
 
Il a le cœur jusqu’au-boutiste.
Déjà, il surplombait les toits,
Va voir au ciel si Dieu existe,
Y déambule de guingois.
 
Mais impudeur, mais turgescences !
Des sexes nus, cônes moka,
Dans la ramure se balancent,
Le roi nous fait son cinéma !
 
« Ce soir, je veux la même chose,
A réclamé la belle Irma.
Un homme, un vrai, un virtuose,
Monté comme un épicéa ! »
 
Le vent a porté ces paroles
A l’arbre vivant son destin,
Lequel rêva de gaudrioles
En va-et-vient jusqu’au matin.
 
Quant à la belle Irma, bercée
Par les ombres de son jardin,
Elle s’endormit, apaisée,
Remettant le mâle à demain.

Voici venir les aubes franches,
Mettez des petits dans les nids,
Des gazouillis au creux des branches,
De l’amour au cœur des taillis.
 
Aux heures bleues, aurores blanches,
Suivez la sente au Bois Flétri,
Femmes, jupette au creux des hanches
Et le dieu Pan en vis-à-vis.
 
Noyez vos larmes et alarmes
Dans l’étang des Rêves Perdus,
Reposez-vous dessous les charmes,
Y pendouillent des vœux moussus.
 
Et si la vie vous est galère,
Virez de bord, prenez la mer,
En audacieux, en solitaire,
Ulysse du diable vauvert.
 
Ne regardez pas en arrière,
Aux jours bénis des Temps Enfuis,
Printemps, été en surenchère,
Automne, hiver de nos pays.
 
Il y vivait, dans le feuillage,
Des oiseaux en charivari.
Au soleil, l’âme était volage,
Mais aujourd’hui, mais aujourd’hui…
 
Mettez des leurres dans les branches
Et sifflotez en pot-pourri,
Faites renaître les dimanches
En souvenir du paradis.

Oh, que j’aime les lendemains,
Je tends la main, je veux les prendre,
Hélas, ils savent se défendre,
Ne chantent pas mêmes refrains.
 
« Seront-ils meilleurs qu’aujourd’hui ?
Ne suis ni pythie ni Cassandre
Ni Salomé ni salamandre
Et craint icelle et icelui.
 
De quoi, demain, seras-tu fait ?
Vide- moi donc ton escarcelle,
Chanteras-tu «la vie est belle » ?
Ou conjugueras-tu l’imparfait ? »
 
« Mais demain, c’est un autre jour,
Mais demain, c’est une chimère,
Une pilule douce-amère
Et rarement pomme d’amour .
 
Demain ? »…Cultivant le secret,
Le drôle me dit à l’oreille
Que l’avenir bâille aux corneilles
Et danse avec les farfadets.

Dans la forêt du non-retour
 
Parfois, me viennent dans un rêve
Des ballades des temps enfuis,
Cercles de pierres, coups de glaive,
Preux paladins, sabbats maudits…
                 En voici l’une pour vous plaire.
                 Elle a couleur de fleur-de-lis,
                 Elle danse avec la chimère
                 Et les oiselles de jadis…
…« Les lauriers avaient tête haute
Dans la sylve du non-retour,
Guettaient, ne s’accordaient pas faute
De régenter le mal d’amour ;
La forêt abritait les belles
Qu’ils protégeaient des verts-galants,
Elles devaient rester pucelles
Jusqu’aux divins consentements.
L’asile avait chapeau de brume
Et les cèdres, toujours au vert,
Entre le marteau et l’enclume,
Contour de bois, semaient désert.
La ramée avait ses lingères
                  Qui l’ornaient de blancs filaments,
Lianes, bruyères, fougères,
                  Du vent agréaient les accents.
Elles reprenaient en sourdine
Sans en expliquer le pourquoi,
Toujours la même cavatine :
« Jamais avant la bague au doigt. »
 
La nuit, chouettes et roussettes,
Près de la mare aux nymphéas,
Martelaient, humbles suffragettes,
« L’anneau précède les ébats »
Le grand lézard de la fontaine,
Leur prêtait la griffe et le croc,
Bavait la salive et la haine
Aux portes de l’Eldorado.
Les filles, à peine pubères,
Au soleil de ces chaperons,
Croyaient comprendre les enchères,
Ne savaient rien des maquignons.
Quand l’une d’elle à son bagage
Se démenait, le chapelain,
A l’entrée, en bel équipage,
Dressait l’autel de son destin.
Baguée, elle prenait la route
A tout jamais. Le Non-retour
N’assurait ni la banqueroute
Ni l’ennui ni le fol amour.
D’aventure, une jouvencelle
Ouit un autre fabliau,
Avait observé l’hirondelle,
La couleuvre et le bécasseau.
Elle se glissa hors enceinte.
A l’orée était un garçon.
Une escapade en demi-teinte,
Trop mignon pour être félon.
 
Il s’en venait de haute vigne,
Était le fils de l’échanson,
Le regard droit, douceur insigne,
Il demandait presque pardon
Ils se parlèrent comme filles,
Et rirent comme un seul garçon,
Vinrent les mains qui déshabillent,
Aucun des deux n’avait dit non.
Mais il partit, le cœur en berne,
Elle, l’avait baisé au front,
Ne lui restait que baliverne,
Il n’avait pas payé rançon.
Elle rebrousse et se chagrine,
Et sème la révolution.
A quoi bon une aigue- marine
                 Avant de lever le jupon!
Depuis, le vent et la fougère
Et la bruyère et le serpent,
Mettant l’amour en bandoulière
Ont adopté un autre chant,
Fredonnent cette ritournelle :
« A force de montrer tétons,
Femme ribaude, damoiselle,
On débusque mieux les chapons. »

Dans le pays de mon grand-père,
Par- delà les plaines et vents,
Se dressait le cul de la terre
À Cul-des-Mines, Cul-des-Champs.
                 Les hommes, tous à la carrière,
                 Au boisage, au puits, au filon
                 Avaient le cœur en gibecière,
                 Avaient le corps en amidon.
Sur les visages de charbon
Se déchiffraient les infortunes,
Se devinaient mille rancunes
Pour cette vie sans frissons.
                 Quant aux enfants de Cul-des-Champs,
                 Ils avaient une âme morose,
                 Leur jeune vie à peine éclose
                 Et déjà l’ombre du néant.
Les femmes au cœur en jachère
Se partageaient entre sillons,
Semailles, fumure et moissons,
C’était de bonnes maraîchères.
                 À travailler ainsi la terre,
                 À l’air, au soleil, au dehors,
                 Piquant dans leurs longues crinières
                 Mélancolie et boutons d’or,
Les femmes, c’est un grand mystère,
Etaient de vraies fleurs de beauté.
Devant l’estrade des enchères,
Bien plus d’un se serait ruiné
                 Mais pas ceux du cul de la terre.
                 Ils revenaient trop fatigués,
                 Ne voyaient que la ménagère,
                 N’en attendaient que le dîner.
Les femmes, de plus en plus belles,
Vivaient ainsi de jour en jour,
Sans que l’amour les ensorcèle,
Sans que le cœur batte tambour.
                 Parfois passait un voyageur
                 Juché sur de hautes échasses.
                 Passent, passent les gens cocasses,
                 Elles riaient de l’arpenteur.
Un berger plus que centenaire
Couvrait les herbes de dos ronds.
Le soir, éteignant la lumière,
Elles recomptaient les moutons.
                 Venaient colporteur et vicaire,
                 Leurs remèdes et leurs sermons,
                 Leur camelote et leurs prières,
                 Sonnette claire et coups de gong.
Et les mois suivaient les semaines,
Le temps se traînait hors du temps,
Le cul du monde en quarantaine
Avait les mines pour écran.
                 Je ne sais par quel sortilège
                 Aux jeunes heures d’un printemps
                 Un matin, juste après la neige
                 Fut l’aube du Prince Charmant.
Peu importe comme il était
Quand il s’en vint à Cul-des-Mines.
Des cœurs longtemps mis en sourdine
Culbutèrent les parapets.
                 Il réveilla les filles d’Eve,
                 Toutes sœurs d’un nouvel émoi,
                 En chacune éclata la sève
                 De l’amour tendre en tapinois.
Il était jeune et bien bâti.
Mais ce qui accrocha les belles,
Ce fut l’éclat de ses prunelles,
Des yeux aux tons du paradis.
                 Des yeux à se noyer dedans
                 Qui possédaient la clef des rêves,
                 Morceaux de ciel bribes de grève,
                 Des yeux couleur de l’océan.
Et pendant deux folles saisons,
Il n’y eut presque pas de pose
Des ombres fraîches et disposes
Courant les champs et les buissons.
                 Cette année-là, dans les prairies,
                 Il se trama bien des complots.
                 Filaient les femmes et les filles,
                 Rougissaient les coquelicots.
Les hautes herbes des clairières,
Rabattues on ne sait pourquoi,
Prenaient allure de litières
Comme les plantes des sous-bois.
                 Le vent mauvais vendait la mèche,
                 Portait l’écho de longs soupirs.
                 Le son partait comme une flèche,
                 Les cris ne pouvaient pas mentir.
Des pas lourds frappèrent la terre.
On vit les têtes des bâtons.
Cul-des-mines était en colère,
En déraison, en peloton.
                 Quand les femmes vinrent aux champs
                 Après des heures de misère,
                 Vers les berges de la rivière
                 Courait une piste de sang.
Grand-père me dit cette histoire
Un soir d’hiver, bien tristement.
Il perdait un peu la mémoire
Mais pas celle du temps d’avant.
                 Il avait revu son pays.
                 Les femmes n’étaient plus si belles,
                 Cul-des Champs se mourait d’ennui.
                 Mais des enfants en ribambelle
Se poursuivaient dans les ruelles
Aux sons d’un grand charivari,
Ils avaient l’œil qui étincelle
Couleur chemin du paradis.

Oh, que j’aime les lendemains,
Je tends la main, je veux les prendre,
Hélas, ils savent se défendre,
Ne chantent pas mêmes refrains.
 
Seront-ils meilleurs qu’aujourd’hui ?
Ne suis ni pythie ni Cassandre
Ni Salomé ni salamandre
Et craint icelle et icelui.
 
De quoi, demain, seras-tu fait ?
Vide- moi donc ton escarcelle,
Chanteras-tu «la vie est belle » ?
Ou conjugueras-tu l’imparfait ?
 
Mais demain, c’est un autre jour,
Mais demain, c’est une chimère,
Une pilule douce-amère
Et rarement pomme d’amour.
 
Demain ? …Cultivant le secret,
Le drôle me dit à l’oreille
Que l’avenir bâille aux corneilles
Et danse avec les farfadets.