– Jacques Goyens – poésies –

❈❈❈❈❈❈❈❈❈❈❈❈ Séance du 17-02-2018 ❈❈❈❈❈❈❈❈❈❈❈❈

Souviens-toi

Souviens-toi, c’était au mois de novembre, un jeudi.
Aux environs de dix-sept heures.
Mais qu’importe une heure de plus ou de moins dans une vie !
Nous étions côte à côte et nous nous tenions la main.
La pluie traçait sur nos visages de minuscules ruisseaux
qui s’en allaient mourir dans le flot duveteux de nos écharpes.
La lumière des réverbères
tentait vainement d’égayer ce bout de rue
aux façades austères, témoins d’une bourgeoisie triomphante.
Nous étions jeunes et nous pensions
que se tenir la main au bord d’un trottoir
suffit à assurer le bonheur.
Mais nous ne connaissions rien de la vie.
Ivres d’amour sans savoir ce qu’est l’amour,
nous étions serrés l’un contre l’autre
à attendre que la rumeur de la ville s’apaise
et nous permette enfin d’être l’un à l’autre pour la vie,
dans une plénitude qu’aucune force ne pourrait abolir.
 
La pluie redoubla, nous obligeant à nous abriter.
Les voitures projetaient des gerbes d’eau sur le trottoir.
Nous étions immobiles, dans l’illusion
qu’il est possible de se protéger de la pluie, du vent
et de tout en se serrant l’un contre l’autre.
Mais nous ne savions rien de l’hostilité du monde.
Nous ne savions rien de ces petites gouttes d’hypocrisie
qui s’insinuent lentement en nous
ni de la lueur blafarde de l’ennui
ni de l’usure des jours les uns après les autres,
guettant la moindre de nos faiblesses.
 
Vingt ans ont passé. Les réverbères ont été remplacés
par d’autres luminaires en forme de lunes.
Les trams et les voitures emmènent toujours leurs passagers
vers Dieu sait quelle destinée.
Nous ne sommes plus là à attendre sous la pluie
que le bruit cesse et que l’on puisse enfin s’aimer.
Le vent a emporté nos illusions
et nous a laissé le poids de nos erreurs.
Nos chemins ont divergé.
D’autres amours, d’autres espoirs, d’autres pans de vie
ont mobilisé nos énergies.
Et pourtant rien ne pourra jamais effacer ce souvenir,
ce court moment de bonheur.
Peut-être est-ce lui qui nous a permis de traverser
tant d’années et d’affronter ses tempêtes.

à Pierre – 18-02-17

Il était une fois
un homme, une voix.
Cette voix avait des accents sonores
dont je me souviens encore.
Elle disait un texte avec une force
qui vous traversait l’écorce.
Cette voix s’en est allée
et avec elle son humanité.
Adieu Pierre !
Merci pour ces étincelles de vie
qui peuplent nos mémoires.

Après une opération – 18-02-17

J’ai revu le chirurgien :
« Tout va très bien. »
Dans tout ce qu’il a découpé,
Rien de suspect n’a été trouvé.
L’opération n’était donc pas nécessaire,
Il faut s’y faire.

Adieu, l’ami Jean ! – 18-02-17

Adieu, l’ami Jean !
On ne devrait pas perdre son ami d’enfance
ou alors partir avec lui.
Acte I. Sous les marronniers de la cour d’école :
« Comment t’appelles-tu ? »
Tu écrivis ton nom sur un tube d’aspirine.
Début de notre histoire, une camaraderie
qui se mua peu à peu en amitié.
Acte II. Fin de nos études, identiques.
Nous partîmes chacun dans notre ville,
happés par la vie, la profession, la famille.
Absence de plusieurs décennies.
Acte III. Il était écrit que nous nous reverrions.
Tu écrivais, moi de même.
Un salon du livre nous réunit à nouveau.
Joie des retrouvailles, nouvelle source de partage.
Ton roman, Les Moineaux d’Argelès,
habita ma mémoire
comme jadis les petits événements
qui forgèrent notre amitié.
Soudain, clap de fin !
Une lettre de ton épouse :
« Son cœur s’est arrêté de battre.
Je suis désolée. »
Fallait-il que je te revoie
pour souffrir davantage ?
On ne devrait pas perdre son ami d’enfance.

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